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Parlons un peu du dedans ; car, ainsi que vous l’avez dit, on représente dans les postes diplomatiques le dedans autant que le dehors.

Nous avons eu une crise dont il ne faut pas s’effrayer, et dont vous avez fait une juste appréciation dans vos dépêches télégraphiques. Mes amis (vous savez, tout saint que vous êtes, ce que signifie ce titre), mes amis aiment à dire que je me prodigue trop, que je veux violenter l’Assemblée, et que je ferais mieux de laisser battre mes ministres que de m’exposer à être battu moi-même. Ce sont là des propos légers et sans valeur de gens qui veulent tuer leur chien en disant qu’il a la rage. Je vous assure que je n’ai pas la rage de m’épuiser et de violenter la Chambre. Mais il y a des choses indispensables, d’un intérêt capital et sur lesquelles je ne puis pas transiger. Si j’avais considéré le système financier d’un œil indifférent, j’aurais été indigne du poste que j’occupe. Laisser établir l’impôt sur le revenu, qui est le socialisme par l’impôt, ou des décimes sur le sel et la terre et les locations, aurait été de ma part une vraie défection. J’ai donc pris l’affaire au sérieux, et très au sérieux. Je l’avais gagnée, tout à fait gagnée ; mais on a traîné en longueur, excité de grossiers intérêts et fini par arracher à l’Assemblée un vote dont elle était au désespoir après l’avoir émis. Si j’avais cédé, j’étais perdu, et, à mes yeux, un lâche. Qui résisterai cette Assemblée omnipotente, si je ne lui résiste pas, surtout en ayant mille fois raison ? Ce sera une Convention honnête, si l’on veut, mais une Convention, et alors le chaos peut s’ensuivre. Je me suis donc mis en travers, et ma démission donnée, bien franchement, a déterminé une réflexion subite, mais unanime, et qu’on aurait dû faire avant, au lieu de la faire après. Il m’en a coûté de rester, car je suis horriblement fatigué ; mais je me suis rendu. On y regardera désormais avant de voter si légèrement, surtout contre un homme qui ne cède à aucun caprice personnel, qui fait tous les jours des sacrifices de sa manière de penser, pour rendre possible la vie commune Du reste, la situation est singulièrement consolidée, et les crises de ce genre ne sont pas près de se renouveler.

... Soyez donc et montrez-vous rassuré. Croyez-le, d’ailleurs, vous avez affaire, vous et vos amis, à un homme de bon sens, décidé, mais essentiellement modéré, et qui n’a pas plus les illusions que les enivremens ni les caprices du pouvoir. Adieu, mon cher ange gardien, je vous assure que si vous étiez aussi près que vous êtes loin, vous ne seriez pas scandalisé de ma conduite, et que vous ne souffleriez pas sur votre bougie, car, ce que je fais Votre Sainteté pourrait le voir. Adieu encore, et, à efforts communs, tâchons de sauver notre cher pays, bien spirituel, bien brave, mais quelquefois bien étourdi. Aimons-le, soignons-le comme les mères qui aiment passionnément un mauvais sujet de fils qui les désole et les charme tout à la fois.


Payer d’abord, payer tout ce qu’il a promis, et jusqu’au dernier sou ; puis, après cela, la paix ! Une paix « réorganisée » et « armée, » M. Thiers y revient dans une autre lettre, adressée celle-là, à M. de Saint-Vallier qui le représente à Nancy, près du général de Manteuffel, et, qui, lui aussi, — avec d’autres dons