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ainsi en est-il, quoique à un moindre degré peut-être, dans le monde entier. En Chine, il est vrai, dans la Chine fermée du dernier siècle, nos missionnaires s’étaient abstenus d’enseigner à leurs prosélytes une langue inutile aux Chinois, mais il n’en est plus de même, depuis que la Chine s’est ouverte. C’est de leurs écoles que sont sortis les interprètes dont se sont servies nos troupes, durant la dernière expédition de Chine ; c’est dans ces écoles que le Céleste avait appris à honorer notre drapeau, si souvent déployé, comme un talisman protecteur, par les villages du Petchili, au passage des régimens européens. Si le français a quelque chance de se faire une place sur le sol chinois, c’est à nos missionnaires que nous le devrons. Bref, on est en droit d’affirmer que, des vieilles contrées de l’Extrême-Orient aux jeunes États des deux Amériques, les établissemens et les stations des religieux français sont les principaux et souvent les seuls foyers de la culture et de l’influence françaises.

Veut-on apprécier l’étendue et l’intensité de leur action, il faut placer, à côté de l’étranger, les colonies françaises. Nos religieux et nos religieuses ne nous y rendent pas moins de services, et s’ils ne nous en ont pas rendu de plus grands encore, si, grâce à eux, la langue et les idées françaises n’ont pas pénétré davantage telle de nos colonies ou tel de nos pays de protectorat, la faute en est souvent à nous-mêmes, à notre gouvernement, à nos préjugés, et, pour tout dire, aux rancunes de l’anti-cléricalisme, qui, ouvertement ou sournoisement, franchissent la mer pour se jeter à la poursuite du froc ou de la soutane, jusque dans les montagnes de l’Asie ou de l’Afrique. C’est ainsi que, sur les pentes neigeuses du Djurdjura, notre gouvernement a fermé, il y a une vingtaine d’années, les écoles de Jésuites de la Kabylie, comme si, pour défricher ce vaste champ de l’instruction indigène où nous avons encore si peu fait, l’Algérie avait trop de bons ouvriers et trop de ressources. De même, aujourd’hui, en Tunisie, dans un pays où tous les colons français se plaignent de l’insuffisance des moyens d’éducation, dans un pays où le meilleur moyen de rapprocher de la France les Italiens et les Maltais serait l’école religieuse française, nous savons que l’administration du protectorat s’oppose, sous main, à la fondation d’écoles ou de collèges par les Jésuites ou les Dominicains. Voilà comment, là même où nous avons le plus d’intérêt à ne rejeter aucun concours, les préjugés sectaires ou la terreur des colères anti-cléricales