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une certaine mesure, la peine prononcée présente un caractère préventif ; en d’autres termes, le but poursuivi par le législateur n’est pas seulement de pure morale, mais aussi d’utilité publique. La gradation des peines doit donc se fonder non seulement sur la gravité de la faute, mais aussi sur l’effet produit par l’exemple. Il est facile de se rendre compte que notre législation pénale n’a et ne peut avoir aucune influence préventive sur les indigènes ; sans doute l’assassinat est puni de mort, et les jurys algériens appliquent assez libéralement cette peine aux Arabes ; mais pour les vols qui constituent le délit le plus fréquent, la répression est illusoire. Indépendamment des chances nombreuses qu’ont les indigènes d’échapper à la justice, ils ne risquent que quelques mois de prison dont ils n’ont cure.

Ce ne sont pas seulement les colons qui se plaignent du défaut de sécurité et de l’augmentation croissante des vols, ce sont aussi les indigènes, et l’on voit un notable algérien, ancien cadi renommé pour sa probité et son intelligence, réclamer depuis vingt ans, au nom de ses coreligionnaires, que l’on coupe le poing aux voleurs, comme au temps des Turcs, afin d’arrêter leurs déprédations. Une étude approfondie de la question des pénalités montrerait que l’intérêt de la colonisation et des Arabes eux-mêmes exige une gradation spéciale des peines, et des procédés spéciaux de répression à l’égard des indigènes. N’est-il pas singulier d’ailleurs, lorsqu’il s’agit de fautes graves, de voir appliquer intégralement notre Code pénal aux Arabes et Kabyles alors que, pour des infractions légères, on a cru devoir les soumettre à la législation spéciale de l’indigénat ?

Voilà pour les principes de la législation ; il en est de même pour la procédure et les pénalités. Comme tous les peuples primitifs, l’Arabe ne comprend que la justice expéditive et la répression immédiate ; il lui importe moins devoir frapper le vrai coupable que de savoir toute faute suivie de châtiment. Aussi ne comprend-il point toutes les précautions de nos codes pour assurer la découverte de la vérité ; il prend pour de la faiblesse ce qui n’est que légitime souci de la justice. L’instruction traîne-t-elle en longueur, — et c’est presque toujours le cas, — l’indigène se rit de ce qu’il croit être le peu de clairvoyance du juge ; aboutit-elle à un non-lieu ou à un acquittement motivé souvent par la longue durée de la détention préventive, c’est pour lui un aveu d’impuissance qu’on ne saurait trop regretter au point de