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C’est ainsi que Ingres connut une révélation analogue à celle qui souleva jusqu’aux plus merveilleux sommets les grands artistes de la Renaissance. Ceux-là aussi furent ramenés à la nature par les leçons de l’antiquité, après le long rêve ascétique du moyen âge, qui cachait à l’âme la véritable noblesse et la véritable beauté de son enveloppe terrestre. Dédaigner le corps, comme l’avaient fait les primitifs chrétiens ou l’idéaliser jusqu’au factice, comme l’école de David, c’est également s’éloigner de la vérité. Et pour y revenir, rien ne vaut l’enseignement de l’antiquité, parce que, de toutes les inspirations de l’art humain, celle-ci est encore la plus directement surgie de la nature. Elle y ramène infailliblement. Devant tout autre idéal, l’artiste peut se laisser séduire par l’illusion et la chimère. Devant l’idéal grec, il ne peut oublier la réalité. La terre qui donna naissance aux Phidias et aux Praxitèle fut, par sa philosophie, par sa religion, par ses lois, la servante à la fois hère et soumise de la nature. Elle ne chercha rien en dehors des claires indications de cette maîtresse souveraine, et elle y trouva toute grandeur et toute beauté. Comment son art n’en resterait-il pas la plus saine et la plus souveraine interprétation ?

Voilà l’enseignement que nos grands prix de Rome vont chercher en Italie, en Sicile, en Grèce. Mais cet enseignement ne peut être fécond que là, dans l’atmosphère restituée de ces temps héroïques et dans les studieux loisirs d’une existence aussi sereine et exempte de soucis amoindrissans que pouvait l’être celle des jeunes artistes athéniens qui sortaient des ateliers de leurs maîtres, pour écouter une tragédie de Sophocle, un discours de Platon, ou pour contempler, sur le stade, les lignes animées des beaux corps dans l’exercice de leur force et de leur agilité.

Certes, il y a des écoles d’art qui enseignent que la vie est aussi dans la laideur, dans les mouvemens cauteleux et inquiets, dans les formes déjetées et fléchissantes. Et, sans doute, c’est la vie aussi, nous n’en disconvenons pas ; mais c’est une vie qui descend vers la mort, dernier aboutissement de la misère, de la débilité, de la maladie. C’est une vie contraire à l’effort même de la nature, laquelle tend sans cesse, par la sélection, au perfectionnement des êtres, et qui supprime, dans sa marche en avant, les races qu’ont étiolées leurs malheurs ou leurs vices. Cette sélection de la nature, qui élimine les élémens mal venus pour dégager un type toujours plus accompli, c’est le système