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Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 14.djvu/932

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REVUE DES DEUX MONDES.

indulgens. Suétone est un homme d’étude, un fureteur de bibliothèques, à la recherche des petits détails et des curiosités de tout genre ; il n’a pas les indignations vertueuses de Tacite. Or le Tibère de Suétone est aussi odieux que celui de Tacite, Claude n’est pas moins sot chez l’un que chez l’autre, et Néron moins scélérat. Dion Cassius était un Grec de naissance que les souvenirs de l’ancienne Rome devaient laisser parfaitement indifférent, et qui servait l’Empire : il n’a pas jugé les Césars autrement que Suétone et Tacite. Les témoignages concordent. Le fait est qu’on a essayé, dans ces derniers temps, de réhabiliter les empereurs, et qu’on y a perdu sa peine. Tout ce qu’on a pu trouver à leur décharge, c’est que, sous leur autorité, les provinces ont été bien administrées. Cela en effet permet de comprendre que le régime impérial ait pu durer. Mais cela ne suffit pas à justifier le régime, et surtout n’atténue ni n’excuse les scandales du Palatin-Force est bien de convenir que, du moins pour l’ensemble et la signification générale, Tacite a été un historien véridique.

Surtout, il n’est pas un adversaire du régime ; ce n’est pas un ennemi politique. Et il n’est pas républicain. Que Tacite ne soit pas républicain, c’est ce que quelques-uns, encore aujourd’hui, auront beaucoup de peine à admettre, tant le préjugé s’est enraciné dans nos esprits. Il y a un peu plus de cent ans qu’il est tenu pour vérité acquise : on ne compte pas les discours, pamphlets, brochures, articles de journaux, poésies où le nom de Tacite et celui de la République sont unis indissolublement. L’historien des Césars passe pour avoir été, en face des tyrans, le farouche défenseur des vertus républicaines. Par malheur, ce rôle n’a pas été le sien. Il se peut qu’il ait célébré les vieux Romains et cité avec honneur les temps de la République, parce qu’à Rome, pays traditionnel, l’éloge du passé était une espèce de bleu commun à l’usage de tous les partis. Mais d’ailleurs il ne se faisait aucune espèce d’illusion ; il savait que la République était morte une fois pour toutes : il n’en espérait ni n’en souhaitait le retour. Il n’appartenait pas à l’aristocratie, étant, comme on disait, un « homme nouveau ; » il se rendait très bien compte de l’impuissance du parti des nobles, et il ne s’est pas fait faute de railler la stérilité de leur opposition. Il savait aussi le peu de fond qu’on pouvait faire sur la résistance du Sénat. Le temps était bien passé où la grande assemblée était maîtresse des affaires ; tout juste pouvait-elle réclamer qu’on eût pour elle des égards depuis que toute la réalité du pouvoir était passée à l’empereur. Qu’est-ce donc que Tacite ? Un protégé de l’Empire ! Vespasien l’a fait questeur, Titus édile, et Domitien préteur. C’est