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princesse Clémentine qui se charge de vous mettre en rapport avec lui ? Vous me direz cela à votre retour.

Je ne puis vous répéter assez le contentement que j’éprouve de vous voir rentré dans une si bonne voie[1] ; vous étiez sorti de celle que vous montrait, comme la seule à suivre, votre excellente nature. J’ajoute que votre bonne renommée ne vous en permet pas une autre : vous avez pris un engagement avec l’opinion publique ; elle vous est très favorable. Vos succès universitaires et l’éclat de votre début, au milieu des rangs de nos soldats, vous imposent de grands devoirs. Il est facile de s’oublier quand on n’est rien ; mais, une fois que les yeux de la foule sont fixés sur nous, il faut savoir jouer son rôle avec honneur. Je vous rends la justice de dire que vous êtes de mon avis quant aux principes : vous ne bronchez que dans l’application ; mais votre extrême jeunesse vous excuse, et il était, d’ailleurs, naturel que les préoccupations de votre début militaire eussent la plus grande part de vos pensées. Aujourd’hui, la guerre vous a fait homme, les épreuves d’une campagne vous ont grandi. Vous n’avez pas besoin de vous guinder pour rester à la hauteur où vous vouliez être, vous l’avez tout naturellement atteinte. Vous avez commandé, encore presque enfant, à des hommes ; vous avez supporté avec une énergie précoce leurs fatigues et leurs dangers ; vous méritez d’avoir votre rang au milieu d’eux ; vous n’avez plus d’effort à faire pour le garder ; mais, l’ayant obtenu dans la vie militaire, il vous reste à le conquérir dans la vie civile. Vous êtes dans la voie qui conduit, même les princes, à la considération, car ils en ont besoin, comme les plus humbles. On leur accorde les honneurs politiques dès leur naissance, mais l’estime publique est plus faite pour les flatter : elle ne leur est pas due, s’ils ne l’ont pas méritée. Vous savez cela aussi bien que moi. Pardonnez-moi de vous le répéter ; ce ne sont pas des conseils que je vous adresse : c’est la paraphrase de votre lettre que je vous envoie.


Nancy, dimanche 23 août 1840.

Je vous remercie, mon cher Prince, de l’avis que vous me

  1. M. le Duc d’Aumale avait quitté le collège Henri IV au mois d’août 1839, sa rhétorique terminée ; il avait été incorporé aussitôt au 4e régiment d’infanterie légère ; c’est cette entrée immédiate dans la vie militaire active, et l’interruption des études qui en était la conséquence, que regrettait M. Cuvillier-Fleury ; se remettre au travail après la première campagne d’Afrique, c’est ce qu’il appelait « rentrer dans la bonne voie. »