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droits et surtout les « rentes » des landlords ; en 1898, enfin, le peuple reprenait l’administration des affaires locales. Peu à peu la caste souveraine vil ainsi ses privilèges tomber par morceaux, et se relever en face d’elle son esclave d’autrefois, l’Irlande nationale. Aujourd’hui, elle tient encore les neuf dixièmes de la propriété foncière en Irlande, elle reste dominante dans le monde des affaires et les professions libérales, elle reste la classe riche, bien que cette richesse soit fort obérée par les folies du passé. Son influence parlementaire est restreinte, puisqu’elle ne dispose plus que d’une vingtaine de sièges à la Chambre des communes, mais elle a pour elle toute la représentation irlandaise à la Chambre des pairs ; elle détient presque toutes les fonctions publiques d’État, fait l’entourage exclusif du Lord Lieutenant et garde une influence prépondérante sur le gouvernement, dans ce « Château » qui reste aujourd’hui encore tout pénétré de l’esprit et des préjugés de l’Ascendancy.

Elle n’a donc pas tout perdu, mais elle a beaucoup perdu, et elle ne s’en console pas. Naguère encore souveraine, elle ne prend pas son parti de ne plus l’être. Depuis plus de vingt ans elle passe son temps à se plaindre, et, en ces dernières années, la poussée de l’Impérialisme, contemporaine des timides expériences du « Balfourianisme » en Irlande, est venue raviver ses griefs et ranimer l’agitation dans le camp unioniste comme elle l’avait fait inversement dans le camp nationaliste. Un souffle de réaction a passé sur les unionistes irlandais, semant la discorde et la haine. De là, d’abord, au point de vue religieux, ce réveil d’anti-catholicisme, qui se traduit, dans l’Ulster presbytérien, par une recrudescence d’outrages et de provocations contre les « Papistes, » avec coups de poings et coups de pierres aux ouvriers catholiques passant isolément par les rues de Belfast, et, dans le reste du pays, par un renouveau du prosélytisme protestant, voire par des dénonciations publiques émanant d’évêques anglicans, comme à Limerick et à Coleraine. De là aussi, au point de vue politique, une vigoureuse campagne de protestations et de réclamations à l’adresse du gouvernement :

« Nous sommes ici par la volonté de l’Angleterre et pour son service. Nous sommes la chair de sa chair et les os de ses os ; c’est sa Bible que nous lisons, ce sont ses psaumes que nous chantons, c’est son sang qui coule dans nos veines. Depuis des siècles, nous avons été ses champions en Irlande ; aujourd’hui,