jour où s’ouvre devant lui le guichet de la forteresse, sans bruit, sans récriminations, il quitte la capitale et prend le chemin de Piney, seigneuriale résidence qu’il possédait à quelques lieues de Troyes. Là, dans une calme et silencieuse retraite, il fixe ses pénates, « attendant fort tranquillement, — écrit le marquis de Pas[1], — et comme un homme tel qu’il est, l’issue de son affaire. » Il se plaisante lui-même doucement : « Je suis, dit-il en souriant, hors de procès et hors de Cour ! » C’est qu’il sait bien, au fond, qu’il a sauvé sa mise et qu’il obtiendra sa revanche. S’il lui en coûte, pour le présent, la faveur éphémère du maître, il garde en main le meilleur atout de son jeu, sa victorieuse épée, dont, au jour du péril, on ne se passera pas sans peine. Confiant en son étoile, il patiente en attendant l’heure qui ne saurait manquer de sonner tôt ou tard ; et, dans ce consolant espoir, rapidement s’effacent de son âme les cruels souvenirs du passé. Au cours du récit détaillé que, pour occuper ses loisirs, il trace de sa captivité, à peine relève-t-on, par endroits, quelque légère pointe d’amertume.
En même temps, il est vrai, s’envolent les belles résolutions, la dévotion, la vertu, la sagesse ; il cesse promptement d’être un objet d’édification pour ses proches. Toutefois, de l’épreuve temporaire il subsiste un effet durable, qui n’échappe pas à l’attention de ses contemporains. Le dur soldat d’antan, implacable aux misères et aux larmes des peuples, destructeur par plaisir, bouffonnant au plus fort du massacre et de l’incendie, le Luxembourg qu’a connu la Hollande, a disparu de la scène de ce monde et n’y reparaîtra jamais. Durant ses longs mois de Bastille, entre les murs de son étroit cachot, le grand seigneur tombé a, pour la première fois, connu l’humiliation, l’abandon et le dénûment ; la souffrance humaine a cessé d’être, à ses yeux, une chose vague et lointaine, faite pour les humbles, les petits, mais non pour les hommes de son rang. Au fond d’un cœur longtemps inexorable, s’est insensiblement éveillée la Pitié.
PIERRE DE SEGUR.
- ↑ Lettre du 1er juillet 1680. Lettres des Feuquières.