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des grands marronniers s’enflamme aux derniers rayons du soleil.

Botticelli, assure-t-on, avait coutume de dire que l’étude du paysage était vaine, « car il suffisait de jeter contre le mur une éponge imbibée de différentes couleurs pour obtenir sur ce mur une tache dans laquelle on peut toujours distinguer un paysage. » — Boutade ou axiome, quelle que fût, pour l’auteur lui-même, la portée de ce mot, il représente assez l’opinion de la plupart des peintres de la figure humaine, habitués à construire des nez, des yeux, des mains, des deltoïdes, à l’égard de ceux qui ne savent que figurer des nuages et des eaux, et il marque plaisamment leur dédain. Les peintres de figures le font paraître, d’ailleurs, encore mieux, dès qu’ils s’avisent, par passe-temps ou gageure, de rivaliser avec les Rousseau, les Corot, les Daubigny. En effet, il semble bien qu’ils jettent « contre un mur une éponge imbibée de diverses couleurs. » Seulement cela ne fait pas du tout un paysage. Cela fait un fort mauvais tableau. Ce n’est pas ainsi que s’y prend le vrai paysagiste, l’observateur attentif. Il ne voit pas moins de traits particuliers dans les arbres que dans les figures, ni de rides significatives sur la face de l’eau que sur une face humaine. Ces lois de proportions et de directions des lignes, pour être plus mystérieuses dans la Nature, n’en sont pas moins intéressantes, ni, pour être plus fugitives, moins précieuses. Nous venons de voir tout ce qu’il faut d’attention, de patience et d’amour pour exprimer seulement la physionomie d’un coin de rivière ou de fleuve, et c’est aux meilleurs paysages des Salons de 1903 que nous devrons cet enseignement.


ROBERT DE LA SIZERANNE.