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Réaliste dans toute l’étendue de ce terme, Schubert « a des sons pour les plus subtils sentimens, idées, événemens même et états de la vie. Autant de formes variées revêtent les pensées et les actions des hommes, autant, à son tour, la musique de Schubert[1]. »

Mais parmi les actions des hommes et leurs pensées, parmi les états et les événemens de la vie, il semble que les moindres attirent Schubert, l’inspirent et l’émeuvent le plus. Un poétique historien du lied, M. Schuré, nous a conté naguère l’aventure du chevalier, qui avait trouvé la première violette. Il courut l’annoncer à la duchesse de Bavière. Elle aussitôt se hâte de sortir avec des joueurs de flûte et de violon pour souhaiter la bienvenue à la jeune saison. Mais dans l’intervalle un paysan a cueilli la fleur ; il l’apporte en triomphe au préau, l’attache à une branche verte et s’écrie : « Réjouissez-vous, j’ai trouvé l’été. » Dans la musique de Schubert il en est souvent comme dans la légende : ce n’est point le chevalier, mais le paysan qui cueille la première violette et chante l’Alléluia de l’avril.

L’art de Schubert et des autres musiciens du lied possède encore une qualité, je dirai même une vertu précieuse entre toutes et que Fromentin, parlant des « Maîtres d’autrefois, » a très justement définie « la cordialité pour le réel. » Le réalisme des compositeurs allemands, comme celui des peintres de Hollande ou des romanciers d’Angleterre, est à base non pas d’ironie ou de dédain, moins encore de haine, mais de sympathie et d’amour. Humble et, si l’on veut, petite par l’action ou le personnage, telle mélodie de Schubert est par le sentiment, par la tendresse ou par la pitié, infinie. Y a-t-il une scène plus banale, un plus menu, plus vulgaire incident de la vie quotidienne que le passage du courrier, ou, pour nommer les gens par leur nom, du facteur ; que l’attente, même déçue, d’une lettre même ardemment espérée ? Voilà tout le sujet de la Poste. Mais pour l’élever, et jusqu’au sublime, il ne faut qu’un accent, un cri ; et chaque fois que reviennent, sur deux actes admirables, ces deux mots : « Mein Herz ! Mein Herz ! » c’est notre cœur, notre cœur à tous, qui bat d’inquiétude et se brise de chagrin.

Bientôt, sur le même chemin où la trompe du postillon sonne en-tore, un joueur de vielle paraît. Vieux, sordide, il tourne d’une main défaillante son instrument comme lui misérable. Mais voici qu’au pauvre hère et qu’à sa pauvre machine le génie confère en un moment, en quelques notes, le don mystérieux et sacré. Le mendiant soudain

  1. Schumann.