Sophie de Ruffey avait dix-sept ans quand ses parens, cédant à la tentation d’une alliance riche et brillante, la marièrent au marquis de Monnier. Celui-ci avait soixante-cinq ans ; c’était son seul tort, à vrai dire irréparable. Car aucun des reproches que Sophie lui adresse n’est justifié et ils tombent devant son propre aveu. Il n’est pas exact qu’il l’ait condamnée à une claustration mal égayée par d’insipides parties de cartes avec des personnes dévotes : il cherche à la distraire par des assemblées, des bals, des comédies. Il n’est pas exact davantage qu’il l’ait poussée à bout par son humeur tracassière et soupçonneuse. « Hélas ! dit-elle, j’ai cruellement abusé de sa confiance. Quoi ! Le jour même de mon départ, il me disait : « Je me fie à vous. » Et, quatre heures plus tard, je le fuyais ! » Son indulgence survit même à la faute, même à l’éclat et au scandale : en Hollande, il lui fait encore offrir son pardon. Mais l’ennui avait de bonne heure triomphé chez la jeune femme d’une vertu que ne soutenaient ni la piété, ni les leçons de l’entourage, ni l’affection pour les siens. Il est probable que Mirabeau ne fut pas son premier amant ; car on s’est demandé quel avait été au juste le caractère de sa liaison avec un officier de la garnison nommé Montperreux ; il semble assez bien précisé par cette phrase de Sophie : « Mon cœur n’a jamais été fort engagé, et mes sens ne l’étaient point assez pour me regarder comme ayant un amant attitré » Montperreux fut : celui qui ne compte pas. Suivant un usage avec lequel le théâtre du XVIIIe siècle nous a familiarisés, Sophie subvenait aux besoins pécuniaires de ses amans avec l’argent de son mari. Mirabeau, après Montperreux, a bénéficié de cette assistance. Il s’est défendu avec énergie de cette accusation. Par malheur, elle est établie et par celle même qui avait des raisons pour être la mieux informée. Lorsqu’elle quitta la maison conjugale, Sophie emportait, outre des hardes et des bijoux, des sommes d’argent dérobées à son mari. Ce furent les principales ressources sur lesquelles le couple vécut à Amsterdam.
S’il fallait s’en rapporter au témoignage de Mirabeau, en enlevant Sophie il se serait sacrifié. Il le déclare à une autre correspondante, Julie Dauvers : « Je le savais alors, comme je le sais aujourd’hui, que c’était la plus grande des folies que de l’enlever. Mais devais-je me laisser croire ingrat ou pusillanime ? Que dis-je ? devais-je lui laisser avaler la coupe fatale, comme je ne pouvais douter qu’elle le ferait ? Voilà dans quel point de vue il