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Nous avons dit qu’il n’y avait eu de défaite pour personne : à aucun moment du Conclave, il n’y a eu pour qui que ce soit une menace de ce genre. Cependant tout le monde sait aujourd’hui que l’empereur d’Autriche a jugé à propos d’intervenir à un certain moment pour opposer son veto à la candidature du cardinal Rampolla. Rien n’était, à tous égards, plus imprévu, ni plus déplacé. On a quelque peine à comprendre pourquoi François-Joseph en voulait au cardinal Rampolla, qui, pendant sa longue collaboration avec Léon XIII, ne parait pas s’être appliqué à desservir les intérêts autrichiens. On a dit que l’Autriche, dans toute cette affaire, n’avait pas agi spontanément pour son compte, mais docilement pour celui de l’Allemagne. Rien ne prouve que cela soit vrai, et les journaux allemands le plus officieusement renseignés le contestent avec énergie. L’empereur François-Joseph a-t-il voulu user de son droit de veto uniquement pour en faire montre et ne pas le laisser périmer ? En ce cas, il l’a fait avec peu d’opportunité. On sait que quatre vieilles puissances catholiques, la France, l’Autriche, l’Espagne et le Portugal, croient avoir le droit d’opposer leur veto à une candidature pontificale. Ce droit a effectivement existé, et il existe sans doute encore virtuellement, mais le mieux est de ne pas le mettre à l’épreuve. Les gouvernemens laïques d’aujourd’hui ne peuvent jouer qu’avec gaucherie ce rôle de tuteurs impérieux de l’Église. Quoi qu’il en soit, le cardinal-archevêque de Cracovie s’est levé à un moment du Conclave et, après avoir demandé la parole avec un embarras qui s’est aussitôt communiqué à l’assemblée tout entière, il a balbutié qu’au nom de l’empereur son maître, il opposait l’ « exclusive » à la candidature du cardinal Rampolla. L’émotion et l’irritation ont été très vives. Le cardinal autrichien n’a pas pu se méprendre sur le sentiment de tous ses collègues. Le cardinal Rampolla l’a d’ailleurs exprimé avec une noblesse de langage à laquelle tout le monde a rendu justice. « Je crois de mon devoir, a-t-il dit, de protester, au nom des droits imprescriptibles du Sacré-Collège, contre l’ingérence des pouvoirs laïques dans ses affaires. En ce qui concerne ma personne, j’atteste que je n’ai jamais ambitionné la tiare, et c’est avec une joie profonde que je vois s’éloigner de moi l’amer et redoutable calice. » Le Conclave, désireux de protester à son tour, n’a pas abandonné tout de suite la candidature du cardinal Rampolla, et même, dans le scrutin qui a suivi, il lui a donné quelques voix de plus qu’auparavant. C’était une manière de sauver sa dignité. En fait, une démarche comme celle de l’empereur d’Autriche, quelque déplaisante et offensante qu’elle puisse être, est