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une justice d’équilibre, d’assurer une répression simultanée des empiètemens des protestans comme des résistances tyranniques des catholiques[1]. C’est ainsi qu’à Rouen, à Rennes, jusque dans ces vétilles qui parfois, il est vrai, occasionnent de plus âpres conflits que les grandes choses, les magistrats s’ingénient, de 1623 à 1635, à concilier les prétentions rivales des deux cultes par des « jugemens de Salomon » d’excellente intention. Sur le parcours des processions, les religionnaires seront dispensés de tendre, mais ils devront laisser tendre leurs maisons par les catholiques leurs voisins, qui en auront la peine[2].

De plus, même dans les centres judiciaires éloignés de Paris, ou frondeurs de tradition, — Bordeaux, Toulouse, Dijon, — cette période de 1629 à 1635, où nous essayons de reconstituer l’état d’esprit général de la nation, ne nous offre pas uniquement, au sujet des réformés, de ces sentences rigoureuses ou humiliantes. De temps en temps, une contradiction heureuse venait interrompre la série. Elle Benoît, l’historien calviniste, reconnaît volontiers que, quand la Cour de Dijon faisait une démarche solennelle pour que le protestant Saumaise obtînt la succession de la charge judiciaire de son père, cette seule « action de justice semblait effacer la plupart de ses injustices passées. » Même dans ces « Grands jours » de Poitiers de 1634, — où les délégués du Parlement de Paris subirent pourtant l’influence d’un milieu provincial fort agité ; — même dans cette affaire du temple de Saint-Maixent, jugée contre les protestans, et que leurs historiens considèrent comme la première des manifestations scandaleuses de l’hostilité du gouvernement à leur égard ; ce n’est point, comme le veut une tradition persistante[3], le représentant du gouvernement, l’avocat général Omer Talon qui prononçait à leur sujet ces paroles iniques et impolitiques souvent citées : que « les affaires qui regardent les réformés ne doivent pas être comptées parmi les affaires favorables, et qu’il convient de leur appliquer, au contraire, la plus rigoureuse interprétation. » Hautement, l’ « homme du Roi » mit hors de cause « l’intérêt de la

  1. Floquet, Histoire du Parlement de Normandie, t. IV, p. 376-385,-407-408. Le Parlement écrit, en 1631, aux dix-sept évêques de la province de ne plus faire prêcher le P. Véron, « vu son naturel et humeur turbulente propre seulement pour les controverses et non pour apporter aucune édification. »
  2. Le 3e des Articles secrets de l’Édit de Nantes ordonnait qu’il serait « tendu et paré par l’autorité des officiers des lieux. »
  3. Voir Élie Benoit, t. II, p. 543 ; Ch. Drion, Histoire chronologique de L’Église protestante de France, t. II, p. 13-14 ; Caillet, l’Administration sous Richelieu etc.