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Eh bien ! ils en donnent une idée systématiquement atroce, et qui, même encore aujourd’hui, continue à vous stupéfier, si édifié qu’on soit sur la frénésie de l’auteur et la grossièreté de son système... Morok est un dompteur de foire, et sa ménagerie est précédée d’une toile divisée en trois tableaux. On lit au-dessus du premier : En 1810, Morok est idolâtre ; il fuit devant les bêtes féroces. Au-dessus du second : Morok, l’idolâtre, fuyait devant les bêtes féroces ; les bêtes féroces fuiront devant Ignace. Morok, converti et baptisé à Fribourg. Au-dessus du troisième : Ignace Morok est converti ; les bêtes féroces rampent à ses pieds. Et Morok, tout en promenant ses lions et ses panthères, vend des médailles et des chapelets, des bénitiers, des croix, des images, des paroissiens, exécute en même temps les crimes dont on le charge, et cumule ainsi le rôle de catéchiste forain avec ceux de bateleur et de coupe-jarret. Telle est la première physionomie « cléricale » que des millions de lecteurs et de lectrices ont vu, depuis un demi-siècle, au premier chapitre du Juif Errant !... L’abbé d’Aigrigny est tout autre. Chez lui, la « distinction de la tournure, » le « soin avec lequel il est ganté et chaussé, » la « grâce et l’aisance des moindres mouvemens, » trahissent « ce qu’on appelle l’homme du monde, » et son « regard profond, » un front « largement coupé, » révèlent une grande intelligence. Mais méfiez-vous ! Ce sont là de fallacieux dehors, et l’abbé marquis d’Aigrigny, sous la séduction de ces dehors, est un horrible scélérat. Du fond de son cabinet, dans des notes mystérieuses dictées à son secrétaire, il prescrit toutes sortes d’abominations, de meurtres, de guet-apens : et c’est le second « homme d’Eglise » que nous rencontrons dans le roman :... Quant à Mme de la Sainte-Colombe, que dirige et emploie la Compagnie de Jésus, elle est, au physique, « grosse comme un muid, » avec « une voix de rogomme et des moustaches grises comme un vieux grenadier. » Elle a « des antécédens abominables, » a « fondé sa fortune sous les galeries de bois du Palais-Royal, » et vit « avec deux chats, un caniche, une perruche verte et un perroquet gris » dont le vocabulaire « est digne des Halles. » Elle « fraternise avec ses domestiques, » « les querelle avec furie, » appelle sa femme de chambre : ma biche et les habitués de son salon : mon fiston. Troisième figure cléricale :... Avec la princesse de Saint-Dizier, nous retrouvons le grand monde, mais vous allez voir lequel. « Jolie et spirituelle, adroite