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l’idée de prendre pour confesseur le curé de Roiville. Il pourrait le faire en lui disant un effroyable mal des autres curés j et le régisseur bondit encore :

— « Mais c’est de la calomnie !

— « Oh ! gémit pieusement Rodin, comment pouvez-vous me croire capable ?...

— « Et puis, s’écrie le régisseur, on dit que le curé de Roiville est un jésuite... »

Alors, à ce mot de « jésuite, » l’homme à la « vieille redingote olive, aux gros souliers huilés et au masque livide, » est pris d’un fou rire. Il se met subitement à bouffonner comme un pitre. Et qu’est exactement ce Rodin, qui pleurniche ou bouffonne à volonté, qui se déguise, qui joue tous les rôles, qui court les taudis, qui mange dans les crémeries, qui commet couramment les plus basses scélératesses, et fait exprès, par envie, de crotter les tapis des gens chez qui il va ? C’est le général des jésuites, et même un candidat à la papauté ! On nous cite sérieusement, à propos de lui, le précédent de Sixte-Quint[1] !

Voilà donc sous quels visages, dans le plus populaire des romans-feuilletons, dans le plus reproduit, le plus imité et le plus réédité, les foules, depuis soixante ans, ne cessent pas de voir le monde catholique. Et sous quelles figures l’aperçoivent-elles aussi dans les Trois Mousquetaires et la Dame de Monsoreau ? Ici, nous ne sommes plus dans la fureur, et le ton est une large bonhomie. Mais Aramis et Gorenflot, malgré la bonne humeur d’Alexandre Dumas, sont-ils des personnages bien recommandables ? Gorenflot, dont le froc est presque aussi célèbre que la « redingote olive » de Rodin, est ce moine ivrogne et fripon qui baptise les poulardes du nom de carpes, les arrose de bouteilles de Romanée, et ne rapporte jamais les quêtes « qu’allégées des sommes laissées en route. » Aramis, lui, quitte la soutane pour tuer un homme, tout en se réservant de la reprendre, une fois l’homme tué. Il est « doucereux, » et partage son temps « entre son bréviaire, les vers qu’il compose pour Mme d’Aiguillon et le rouge qu’il achète pour Mme Chevreuse. » Porthos lui dit un jour : « Vous, vous mangez à tous les râteliers. » Et, d’autres silhouettes de caractère analogue, toujours

  1. Le Juif Errant, 2e partie, ch. II, 16e partie, ch. LXIV, , et 12e partie, ch. II.