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gaîment touchées, mais d’une touche toujours désagréable, se groupent autour de ce mousquetaire-abbé. Son domestique Bazin est « grassouillet, » et « lit des ouvrages pieux. » Le supérieur des jésuites et le curé de Montdidier sont « deux hommes noirs » ridicules, et une certaine supérieure de Carmélites fait ses délices de « toutes les histoires scandaleuses du royaume. » Après le musée des horreurs, en somme, c’est celui des caricatures, et des générations de feuilletonistes, après Sue et Dumas, ont fait et refait des d’Aigrigny, des Gorenflot, des Rodin, des Aramis, des Baleinier, des Sainte-Colombe. Dans les Mystères du Lapin blanc[1],un vieil usurier accumule infamies sur infamies, et son nom d’Isaac Mayer le fait d’abord prendre pour un Juif. Mais cet Isaac Mayer, quoique Mayer et quoique Isaac, n’est pas Juif. Comme on avait déjà fait du baron financier Tripeaud un financier catholique, on fait ici de cet Isaac Mayer un Frère de la Doctrine chrétienne qui a traîtreusement pris un nom juif ! De même, dans la Grande Iza[2], tous les gredins sont des dévots, des prêtres, des élèves des Jésuites. Dévot et élève des Jésuites, l’agent de police Boyer, qui outrage une agonisante, lui vole son testament, et lance ensuite la Justice sur une fausse piste ! Elève de l’École des Frères, et produit de l’éducation congréganiste, l’escroc et le malfaiteur Houdart, surnommé « La Rosse ! » Voleur et faussaire, l’abbé Dutilleul, personnage infâme, tenancier secret d’une maison louche parée d’une enseigne de charité, et qui témoigne faussement en Cour d’assises, pour faire condamner à mort un innocent ! Enfin, dans certains feuilletons, comme dans ceux des Gagneur et des Hector France, le parti pris tourne même à la fois à la spécialité industrielle[3] et à l’assassinat moral[4]. Là, tout prêtre quelconque, toute religieuse quelconque, tout chrétien quelconque est un monstre. Ce n’est même plus du roman, mais un mélange de cauchemar et de gageure, quelque chose comme des hallucinations de fou sadique, dont beaucoup ne peuvent même plus s’indiquer décemment, mais que les feuilles populaires n’en ont pas moins publiées et republiées, lancées et distribuées en placards dans les rues. Jamais, ni nulle part, n’a-t-on donc vu de bons chrétiens,

  1. Les Mystères du Lapin blanc, par Boulabert.
  2. La Grande Iza, par Alexis Bouvier.
  3. Le Roman d’un prêtre, par M. L. Gagneur.
  4. Le Péché de Sœur Cunégonde, par M. Hector France.