Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 17.djvu/213

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de saints prêtres, de saintes femmes ? Si ; mais ces personnages-là ne sont que réels. Ils se rencontrent dans la vie. Ils ne se voient pas dans les feuilletons.


III

Et le Soldat, l’Officier, le Militaire ? Jusqu’ici, par bonheur, on nous les a montrés, en général, sous un jour tout différent, et le feuilleton, pour les traiter, emploie une autre manière.

Retournons au Juif-Errant, et regardez-y ce joli tableau : « deux jeunes filles, presque deux enfans » chevauchent sur un vieux cheval blanc, assises l’une à côté de l’autre « dans une large selle à dossier, » et « un homme de grande taille, à figure basanée, conduit le cheval par la bride. » Sa « physionomie grave est durement accentuée ; » sa « moustache grise, longue et fournie, se confond avec une large impériale ; » un « bonnet de police bleu à flamme rouge tombant sur l’épaule gauche couvre sa tête chauve ; » une « ceinture de cuir serre autour de ses reins sa houppelande de gros drap gris ; » il « s’appuie sur un long bâton, porte un sac de soldat, » et « se montre, pour les orphelines, d’une tendresse presque maternelle. »

Ces jeunes filles sont les filles du maréchal Simon, duc de Ligny, et l’homme aux moustaches grises, au sac et au bonnet de police, est le vieux Dagobert, ancien grenadier de la Garde Impériale, chargé par le maréchal de ramener les enfans en France. Il les ramène, en effet, jusqu’à Paris, mais à travers combien d’obstacles ! La journée, il chemine à pied à côté d’elles, et, le soir, après l’étape, il lave leur linge dans les auberges, ou raccommode leurs effets. Un jour, dans une petite ville allemande, il décoiffe d’indignation un magistrat local qui les interrogeait sans égards, et lui crie d’une voix de tonnerre, en lui faisant sauter son chapeau : « Respect aux filles du maréchal Simon, duc de Ligny ! »

Ce Dagobert, rude et bon, toujours prêt à s’attendrir sous ses cicatrices à la vue des enfans de son maréchal, est un des prototypes du vieux soldat de roman-feuilleton. On le retrouve, trait pour trait, dans le Bastien des Drames de Paris[1] ; et un autre soldat-type, tout différent, mais toujours héroïque, est celui du

  1. Les Drames de Paris, par Ponson du Terrail.