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la retraite : les Russes et les Anglais marcheront sur la Hollande ; une révolution à Paris, un débarquement des Anglais, des soulèvemens en Vendée, en Belgique, suivront la première nouvelle des défaites et précipiteront la catastrophe. En Italie, où ils ont 80 000 hommes, les Autrichiens envoient leur meilleur général, l’archiduc Charles. En Allemagne, la direction supérieure est livrée à Mack, « l’idole du pays, écrivait Gentz, le premier homme de la monarchie, » aux yeux des Autrichiens ; un niais militaire, aux yeux des Russes ; présomptueux et malheureux, disait Napoléon.

Mack, spéculant sur la politique et sur la guerre, en grand homme qu’il se figurait être, imagina que Napoléon laisserait une partie de son armée à Boulogne pour s’opposer à un débarquement des Anglais, et une autre à Paris et dans l’Ouest, pour contenir les insurrections annoncées par tous les agens. Dans ces conjonctures, et fort exposé d’ailleurs en Italie, il n’arriverait en Allemagne ni à temps ni en force. Les Russes l’y devanceraient ; les alliés le pousseraient devant eux et le refouleraient vers le Rhin, et peut-être envahiraient-ils la France avant même que les Français se fussent concentrés.

Napoléon ne s’y méprend pas. Pour parer le coup et « environner l’ennemi de tous côtés[1], » il lui faut passer par le territoire du Wurtemberg, et il y passe ; par le territoire prussien d’Anspach, il y passe du même pas. Il est sûr de la tolérance des Wurtembergeois ; mais le Prussien protestera sans doute. Il fait compulser les précédens : il s’en trouve toujours d’innombrables pour les violations du droit, et dans le Saint-Empire plus que nulle part au monde. Il écrit à l’Electeur de Bavière, et le prie de s’entremettre ; il écrit à Duroc, à Otto : il ne doute pas que les Prussiens ne s’apaisent, aux raisons qu’il leur donnera. Il suppose que les menaces et les mouvemens de la Russie vont les décider en faveur de la France. Il les juge perplexes, inertes, pusillanimes. Duroc mande de Berlin : « Certes, l’armée prussienne n’est rien moins que prête à entrer en campagne. » Napoléon les sait à la merci de l’événement, et l’événement, il le précipite.

Le 5 octobre, il apprend l’arrivée des Russes à Vienne ; il a peine à y croire ; mais il se hâte en conséquence. Ce jour-là

  1. A Bernadotte, à Soult, 2 et 3 octobre 1805.