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passages, l’histoire perd sa suite, et devient une série de surprises, sans explication.


VII

Ainsi Napoléon tient la France par les succès de l’armée et l’armée par ses propres victoires. De même ses alliés et, en premier lieu, ses alliés d’Allemagne, ces petites Prusses du Midi, gonflées de biens d’église, élevées au droit public de Frédéric II, empressé avant la conquête de la Silésie, défectionnaire au lendemain de la conquête : Bade, Wurtemberg, Bavière. Ils ont trahi la cause de l’Allemagne, afin de recevoir de Napoléon les dépouilles de l’Allemagne ; ils trahiront la cause de Napoléon, pour que l’Allemagne leur laisse les présens de l’empereur. En cas de défaite, tous ces Allemands, auxiliaires et mercenaires, se démasquent et se retournent. De même en Italie, à mesure que Gouvion s’éloigne de Naples, la peur s’y évanouit. Dès le 14 octobre, 13 000 Russes et 7 000 Anglais ont débarqué dans le royaume. Le gouvernement napolitain rompt avec la France le 20 novembre. C’est que Masséna est battu et qu’ils flairent les déroutes de 1799. Le Portugal est ennemi. L’Espagne est hostile ; humiliée, désespérée de la perte de son Armada, tout ce qui lui restait de prestige. La Cour appartient aux Napolitains, par les femmes ; Godoy à qui le paiera ; le peuple à qui le délivrera de l’alliance française. Ce sera beaucoup si cet allié ne devient pas ennemi.

Mais ce ne sont que les mouvemens de superficie, en Europe. Il se prépare, en dessous, et par l’œuvre même de la France, une révolution profonde, inattendue et infiniment plus redoutable. De même que le Comité de Salut public et le Directoire, Napoléon n’imagine point qu’il existe, pour un peuple, une autre indépendance et un bonheur plus enviable que la suprématie des Français, révolutionnaires en l’an III ; brouillons et pillards, sous le Directoire, à l’image de ce gouvernement ; ordonnateurs, fiscaux, législateurs, administratifs sous l’empire, comme l’empire dans les départemens français. Il nie la puissance des traditions, au delà des frontières françaises. Point de nations en dehors de la Grande nation qui possède la vérité et propage la justice, disaient les révolutionnaires, qui règle le droit et exerce la puissance, dit Napoléon. Cependant, la moisson semée par la Révolution germe dans les âmes, italiennes en Italie, allemandes en