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Allemagne, flamandes en Belgique, hollandaises en Batavie. Et tandis que Napoléon accroche et scelle les murailles de son empire aux édifices royaux des anciens régimes, aux républiques de plâtre du Directoire, façades pompeuses et croulantes, le sol s’ébranle et se dérobe. Qu’il succombe, les foyers volcaniques s’enflamment, l’Europe nationale est en feu, et le « torrent des révolutions » menace d’engloutir les débris de la Grande Armée, comme en 1799, les débris de l’armée d’Italie. De même que les desseins de 1813 se déclarent dans le camp des alliés, que les intrigues et les conspirations de 1812 fermentent en France, la grande éruption des peuples couve sous le pas des armées.

L’Italie n’a pas changé. Les haines populaires contre l’étranger y sont aussi féroces qu’au temps de Championnet et de Macdonald. A Gênes, l’insoumission ; en Piémont, les complots. En Toscane, on est autrichien. « S’il arrivait une retraite à l’armée d’Italie, écrit Napoléon, un simple régiment autrichien, et peut-être le peuple chasserait la reine[1]. »

En Allemagne, dans les pays primitifs, dans les pays de montagne, le Tyrol, le paysan se lève à l’appel de son prince, de ses prêtres, de ses nobles, tout simplement, comme aux temps anciens, contre l’envahisseur et l’étranger. Dans le plat pays, les peuples, débonnaires d’apparence, en tutelle de police, d’ailleurs, se soumettent au vainqueur, le laissent passer, l’acclament même comme en Bavière, quand il chasse l’Autrichien détesté ; mais, peu à peu, l’invasion, rapace et brutale, produit ces effets : l’horreur de la guerre, puis celle des guerriers. Ces Français, tolérés, souvent même aimés, chacun pour sa personne, sont exécrés en corps. Puis, ils sèment sur leur chemin l’idée de l’indépendance ; ils se proposent orgueilleusement en exemple, et le mépris qu’ils montrent au pauvre peuple de son obséquiosité à ses maîtres, à eux-mêmes, éveille, chez ce peuple, la dignité humaine, le sentiment qu’il a une patrie, qu’il appartient à une nation, et que ni cette patrie ni cette nation ne sont vouées à servir de champ de bataille, de cantonnemens, de casernes aux autres. Sans devenir atroce, comme en Italie, la retraite au milieu de ces populations pressurées, serait difficile : leur soumission tournerait vite à l’hostilité. Moreau en a fait l’expérience en 1796 et Jourdan en 1799.

  1. A Lacépède, 17 septembre 1805