de plusieurs se tourne vers lui, et le cherche là-bas. Qu’il souffre en paix : pour seul qu’il soit, comme sont tous les hommes et les héros plus encore, il ne doute pas qu’on ne l’aime ; le suprême mirage console l’horizon de sa dernière étape ; et selon son vouloir, il est sûr d’être suivi. Au lieu qu’Ibsen ne l’espère même pas. L’esprit ne connaît pas l’espérance. Ibsen appelle l’amour, sans y croire : il n’aime pas.
Celui qui réclame pour tous, reçoit pour soi. Et celui qui réclame pour soi, est frustré de tous. C’est la loi. Quoi que je fasse, je ne puis conclure pour moi-même. Je m’épouvante à la fin d’être sincère : c’est toujours contre moi. Il n’est joie de vivre que pour les petits : c’est qu’ils se perdent. Avec tout son orgueil, Tolstoï ne se fût pas perdu, s’il ne s’était fait si humble. Je n’ai pas tant d’humilité, dit Ibsen ; on ne s’humilie pas comme on veut. Dans la grandeur et l’isolement, ni l’âme ni le cœur ne peuvent être satisfaits ; Paris, Rome et Moscou, à cet égard, sont sous la même latitude ; le compte n’est pas d’un degré en plus ou en moins d’élévation au pôle, — mais de voisinage avec Dieu. Qu’on me donne la durée, — et, en effet, mon bonheur dure. Je ne suis que trop capable de la joie : c’est elle qui me manque, dans la marée continuelle du néant, ce flux et ce reflux misérable de vie et de mort : partout où le temps fait défaut, partout je perds pied dans le vide dévorant aux parois de ténèbres : c’est la douleur qui tient tout l’espace.
Je suis perdu, si je ne dure. Si l’on ne me donne tout, je ne suis rien, et je n’ai rien. Si je ne fais que passer, je me suis un rêve épouvantable à moi-même. Et si l’éternel amour ne m’est pas promis, je doute même du mien : les beautés de mon propre amour me sont horribles, et les délices m’en déchirent.
Moi et démocratie. — L’erreur des démocrates est de croire que leur vérité en soit une pour tout le monde, et force l’adhésion. Quand leur vérité serait la seule, il ne s’ensuivrait pas qu’elle eût force de loi sur tous les hommes. Ni moi, dirait Ibsen, ni eux, ni aucun de nous, nous ne vivons que de raisons, si bonnes soient-elles. Je m’étonne peu que les démocrates aient une si belle confiance dans la vérité, l’humanité et toute sorte d’idoles abstraites. Le nombre est infiniment petit de ceux qui sont sensibles à la vie seulement et partout la cherchent sous les mots. La plupart se contentent d’en épeler les termes, comme