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du peuple n’était pas avec elle. Supprimez les amendemens tout récens qui concernent la question des nègres et des esclaves, et ces corrections ajoutées au lendemain de la rédaction de la Constitution, vous retrouvez ce document tel aujourd’hui qu’il était au premier jour, intact. Il n’y a pas eu d’évolution dans le Gouvernement Fédéral. S’il semble avoir grandi, ce n’est pas de sa propre initiative, mais sous la pression du développement de l’industrie et du commerce.

Il y a aux Etats-Unis deux gouvernemens, celui qui siège à Washington, avec une forme déjà séculaire, qui se renouvelle tous les quatre ans, et qui est une émanation du peuple entier. Il y en a un autre, qui règne à Wall Street, à la Bourse, sur la centralisation des intérêts financiers. Ces intérêts deviennent chaque jour plus puissans. Ils ont évolué avec une rapidité irrésistible depuis les origines de la République jusqu’à cette heure précise où ils dominent des millions d’hommes[1] et disposent des milliards qui leur appartiennent. Les moyens de communication qui donnent son unité à un pays dont la superficie atteint 5 millions de kilomètres carrés, c’est-à-dire les chemins de fer, les compagnies de navigation, les télégraphes, les téléphones, les tramways, tout appartient à des personnes privées. Un seul des trusts dispose d’une armée de 12 000 porteurs de titres qui, à la minute des élections nationales, soutiennent ses intérêts. Les ouvriers qui dépendent de la corporation de l’acier se chiffrent par un demi-million. Une telle influence multipliée par des centaines de trusts et divisée à la fin entre quelques individus seulement, dont les richesses particulières dépassent la fortune propre de l’Etat, suffit à expliquer cette évolution normale de l’Amérique en dehors de toute influence politique.

L’origine des mots « expansion » et « impérialisme » ne remonte qu’à la guerre avec l’Espagne, dont l’opinion publique, aujourd’hui mieux éclairée, attribue aux sénateurs la responsabilité. Or, de tous les corps qui gouvernent, le Sénat est le moins populaire. Ceux qui y siègent sont, pour la plupart, des hommes d’argent. Ils étaient de connivence avec le parti des marchands. Au contraire, le Gouvernement Fédéral, reflet de la volonté populaire, a fait tout son effort, d’abord pour empêcher la déclaration de guerre, et ensuite pour tenir les promesses dont, avant

  1. Ouvriers agricoles mis à part, les trusts et les compagnies des chemins de fer disposent d’un quart de la population ouvrière masculine.