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être que négatif. Les deux gouvernemens ont pu se mettre d’accord pour ne rien faire, et pour imposer aux pays qui sont plus ou moins placés sous leur influence le maintien du statu quo ; mais c’est tout. Le jour où l’une des deux puissances voudrait vraiment faire quelque chose, elle se trouverait aussitôt en conflit avec l’autre ; et, le jour où elles voudraient opérer en commun, elles s’apercevraient que leurs intérêts sont trop différens pour que cette action puisse se prolonger sans amener entre elles, au bout de très peu de temps, des froissemens et des heurts. Le terrain de l’Orient est particulièrement difficile pour les puissances européennes. Lorsqu’elles agissent toutes ensemble, en vertu de ce concert que nous avons vu opérer quelquefois, et par exemple en Crète, il y a peu d’années, l’efficacité de leur action est en raison inverse, et leur propre sécurité en raison directe de leur nombre. Quand elles participent toutes au concert, elles s’embarrassent sans doute mutuellement, mais elles se contiennent, et celles qui n’ont pas d’intérêt personnel en jeu servent de tampon aux autres. En revanche, lorsqu’une seule intervient, l’efficacité de son action, même si elle consiste en une simple démonstration navale, est portée à son maximum ; mais toutes les autres l’observent avec une inquiétude jalouse, et on sent très bien qu’il serait dangereux de prolonger beaucoup l’expérience. Enfin, si elles sont deux à agir, et si ce sont précisément les deux qui ont le plus d’intérêts en cause, elles se suspectent mutuellement, et l’une appréhende toujours que l’autre ne joue le rôle le plus important. Il faudrait trembler pour la paix européenne le jour où la Russie et l’Autriche interviendraient ensemble, et seules, dans les Balkans. Nous serions plus rassurés si l’intervention était générale, mais elle serait certainement moins active, et la Porte, la première émotion une fois dissipée, y trouverait peut-être, en reprenant son sang-froid, des moyens tout diplomatiques de conserver ou de reconquérir son autorité. Mais tout cela est chanceux, et l’exécution n’en est pas désirable. Ceux qui parlent, et quelquefois bien légèrement, d’une intervention européenne, ne se rendent peut-être pas suffisamment compte des difficultés qu’elle rencontrerait. Les précédens qu’on invoque, et qui ont permis de détacher successivement quelques parcelles de l’empire ottoman pour en faire des principautés ou des royaumes, ne peuvent plus, cette fois, s’appliquer dans les mêmes conditions. Et la raison en est simple : c’est qu’il y avait autrefois une Moldavie et une Valachie dont on pouvait faire une Roumanie, parce que les Roumains y étaient effectivement la population dominante et que le pays leur