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Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 18.djvu/155

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de jolies moues coquettes. Surgissent à côté deux clowns patauds qui se querellent et se culbutent. Moqueuse, dédaigneuse, sans faire un pas qui dérange sa grâce de grande dame et de jeune beauté, avec une hauteur exquise et mutine elle les gifle du revers de sa main menue. Grand rire et bruissement des spectateurs. Un courant de vie circule ; on sent que le charme est rompu, qui tout à l’heure engourdissait tout. Les conversations se mettent à bourdonner. Le préfet de police indigène en mousseline me présente à sa charmante femme très intimidée de ce rite européen. Et j’ai tout à fait oublié le caractère funèbre de cette fête quand j’entends le civil servant anglais poser doucement la question suivante : « do you know where is the corpse ? Savez-vous où est le cadavre ? » le policier en jupe rose se lève et nous montre du doigt le cercueil que nous n’avions pas vu derrière les figurans. Puis, se tournant vers moi, avec une excitation dans les yeux, un accent intense et martelant ses syllabes comme font ces Asiatiques quand ils parlent anglais, il me crie : The Great Glo-ry has re-turned. He will never corne back. C’est-à-dire, en commentant un peu : « La Grande Gloire est rentrée dans la paix première. Il en a fini de toute vie. Il n’est plus condamné à renaître. Il ne reviendra plus. »



18 février.

Nous retournons à la mer du Bengale avec le puissant fleuve. Un grand steamer, bondé de voyageurs birmans, de talapoins, de marchands hindous et musulmans, surtout d’immigrans chinois, qui passèrent la frontière à Bhamo, à trois jours de Mandalay : des montagnards grands, secs, jaunes, aux anguleux méplats, qui vont peupler les campagnes de Birmanie, très différens des Chinois citadins de Rangoon, des gras et huileux Célestes qui, de Canton, des embouchures de la Chine méridionale où ils grouillent comme des rats au bord de l’eau putride, vont faire le commerce sur la côte indo-chinoise.

Ce fleuve est une des grandes artères de l’humanité. C’est par lui que le sang mongol s’est infusé dans cette moitié de la péninsule, et cet afflux continue toujours. Ce bateau sent la Chine, des odeurs chinoises y traînent, épanchées par la cargaison vivante et les marchandises