Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 18.djvu/495

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

chose. Le groupe dont nous ferons partie, le thème général des manœuvres, le territoire des belligérans, leurs forces, autant d’inconnues.

A chaque instant, pourtant, des plis soigneusement cachetés arrivent à l’adresse du commandant. Mais sur l’enveloppe, en gros caractères rouges se lisent ces mots : « Très confidentiel, à décacheter en mer seulement. »

Le départ est évidemment très prochain. En mer, — par crainte des indiscrétions de la presse, — le commandant nous réunira et nous fera part des instructions reçues. A Philippeville enfin, ou bien à Alger, les ordres définitifs nous parviendront. Attendons ! En attendant, sur chaque navire on prend avec fièvre ces dispositions générales qui ne révèlent rien : exercices du matin au soir, étude des tactiques et des conventions habituelles, embarquement d’eau douce, de charbon, de munitions, d’approvisionnemens de toutes sortes.

Sur rade, c’est un va-et-vient incessant d’embarcations : baleinières légères, qui transportent les commandans sur le navire amiral où ils sont appelés en conférence ; lourds canots à rames traînés par douze rameurs ; gros canots à vapeur remorquant les chaloupes chargées ; vedettes alertes qui distribuent « les plis confidentiels. » Et au milieu de cette flottille agitée, glissent mollement, sur les paisibles flots, les barques du pays, avec leurs grandes voiles latines pointues que gonfle à peine un doux mistral d’été.

Elles passent sans bruit, chargées de touristes qui contemplent curieusement, d’un air presque effrayé, nos colosses d’acier surnageant sur les eaux malgré la pesanteur de leurs lourdes cuirasses.

Depuis dix heures du matin, chaque navire a signalé successivement que ses soutes étaient pleines et qu’il était prêt à partir.

Pourtant l’appareillage n’est pas encore pour ce soir, car à midi un signal par pavillons est monté au grand mât du Saint-Louis, navire amiral, et ce signal, bien connu, a été tout de suite interprété par tous : « Permettre à quatre heures ce soir la communication avec la terre. »

Et, au carré, maîtresse salle qui remplit pour les officiers les fonctions de salle à manger, de fumoir, de cabinet de lecture, de salon, ce fut, au moment du déjeuner, une explosion de joie harmonieuse d’où s’éleva une seule note discordante :