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Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 18.djvu/515

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pu rendre le débarquement dangereux avait subitement cessé pendant la nuit ; et ce matin, escortés par la Mouette et le Linois, l’Espingole et l’Epée nous ralliaient, sans que ces deux petits bâtimens eussent subi d’avaries. Mais ils avaient été obligés de relâcher deux fois.

À terre, nos troupes sont très bien installées ; fortes par elles-mêmes, elles sont en outre protégées par la population grecque qui leur fait le meilleur accueil. Aussi, notre commandant en chef, après une minutieuse inspection, a-t-il décidé de diminuer la garnison : ce soir la compagnie du Faidherbe reviendra à bord et notre croiseur partira demain matin pour se rendre à l’extrémité occidentale de Lesbos. Il y a là un port, Port-Sigri, où le Sultan pourrait envoyer des troupes qui, traversant toute l’île, prendraient les nôtres à revers. Cette éventualité est peu probable, mais un chef doit tout prévoir. Nous avons donc pour première mission d’empêcher, de gré ou de force, tout débarquement d’hommes ou de matériel de guerre à Sigri. Plus tard, si notre commandant en reçoit l’ordre, il devra saisir la douane et le télégraphe.

Le Linois remplira une mission semblable à la nôtre, au sud de l’île, à Port-Olivier, superbe rade intérieure, admirablement abritée, dans laquelle évoluerait facilement une escadre entière. Par terre, une route de cinq kilomètres à peine relie ce port à Mytilène. C’est là que s’installerait certainement une nation moderne qui serait résolue à garder définitivement ce gage.

À Mytilène même, il n’y a pas de port, mais deux petits havres, propres seulement à abriter des barques. Ce sont les mêmes, — ou à peu près, — qu’a connus Sapho, 600 ans avant Jésus-Christ, lorsque sur l’Agora elle venait, avec son collège de jeunes courtisanes aux transparentes tuniques, « respirer, en été, l’air embaumé du soir. » Mais, alors, les quais étaient dallés en marbre ; dans les flots bleus, de longues jetées s’avançaient, rendant plus spacieux les ports, où les trirèmes aux voiles bariolées se pressaient si nombreuses.

Depuis longtemps l’Agora a disparu, et les colonnes, et les temples. Les dalles en marbre ont été arrachées. Rongées par la mer, ébranlées par les vagues, les jetées se sont peu à peu effondrées.

Et le fatalisme musulman, respectueux de l’œuvre du temps, s’incline et laisse faire.