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Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 18.djvu/580

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naturel qui semble prolonger, très avant dans les terres, la dépression du golfe de Siam, et où le Ménam, entre des berges basses, roule lentement la masse de ses eaux troubles. Sur 600 kilomètres du Nord au Sud et sur 200 de largeur, la plaine d’alluvions, arrosée par les pluies qu’apporte la mousson d’été, irriguée par les dérivations du fleuve et de ses affluens, étale ses rizières luxuriantes et ses forêts tropicales. Vers le Nord, elle s’élève lentement jusqu’au seuil qui sépare les sources du Ménam de la vallée du Mékong. Vers l’Ouest, au contraire, elle est nettement isolée de l’Océan Indien par la chaîne qui forme, dans la longue péninsule de Malacca, une épine dorsale, haute parfois de 2 400 mètres, mais qui s’abaisse, à l’isthme de Krah, jusqu’à 25 mètres. Vers l’Est enfin, un plateau, dont l’abrupt est tourné vers le Mékong, sépare des plaines siamoises les biefs moyens du grand fleuve ; ces hauteurs s’abaissent vers le Sud-Est et viennent s’émietter en collines isolées dans la dépression cambodgienne dont le Tonlé-sap occupe le fond. Ainsi, de tous côtés, la pente naturelle des terres s’incline vers la cuvette où coule le Ménam : elle est, pour les eaux comme pour les hommes, un centre d’attraction.

L’Indo-Chine a des fleuves plus longs, plus majestueux, et qui ont un plus fort débit que le Ménam ; elle n’en a pas de plus utile. Tandis que le long serpent du Mékong, coupé en plusieurs tronçons par des rapides presque infranchissables, brusquement dévié par des obstacles imprévus ou resserré dans une gaine de montagnes, n’est qu’un médiocre auxiliaire du commerce, tandis que le Fleuve Rouge, coupé de rapides, disperse ses eaux dans les mille canaux d’un delta inaccessible aux gros navires, le Ménam, au contraire, est le type du fleuve bienfaisant. Son cours ouvre, entre les États Shans du Laos septentrional et le golfe de Siam, une voie d’eau directe, navigable à partir du 19° de latitude, sans chutes ni détours brusques, et dont le seul inconvénient est, à son embouchure, une barre souvent difficile, impraticable même aux navires d’un fort tonnage.

C’est dans ces riches plaines, dont le Ménam est l’artère vitale, que, descendus du Nord sous la poussée des Birmans, et chassant devant eux les Kmers, les Siamois se sont établis, en conquérans et en dominateurs, au milieu des peuplades thaïs et des tribus laotiennes ; ils ont peu à peu, par la supériorité de leurs armes, imposé tribut ou sujétion aux petits États malais