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Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 18.djvu/581

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ou laotiens, mais ils n’y ont pas implanté leur race. Chacun des progrès de leur empire a été marqué par des massacres de populations, des sacs de villes ; des tribus ont été transportées en masse ; mais s’ils ont pu soumettre les petits États voisins, ils n’ont pu les assimiler ; sous l’autorité oppressive du mandarin et du soldat siamois, le Laotien, le Cambodgien, le Malais se retrouvent intacts, soumis avec la passivité des Orientaux, mais attendant, avec un invincible espoir, le jour marqué pour la délivrance. Ainsi la race siamoise est loin de peupler tout le pays que les cartes accordent au roi de Siam ; elle n’y est même pas en majorité. Sur plus de 6 millions 300 000 habitans, les Siamois véritables sont à peine 2 millions ; les Chinois atteignent le même nombre ; les Laotiens sont un million, les Cambodgiens sont 400 000 dans le Sud-Est, les Birmans sont nombreux dans le Nord-Ouest, les Malais dans les sultanats de la presqu’île. A Bangkok même, les Siamois sont fortement métissés de Chinois ; dans la région de Korat, ils sont mélangés aux Laotiens ; ils ne constituent donc ni une race, ni un peuple ; ils n’ont ni unité nationale, ni sentiment patriotique, au sens où nous entendons ces mots. Chantaboun, Korat, Oubône ne sont pas des villes siamoises ; à peine serait-il exagéré de dire que le Siam véritable ne dépasse guère Bangkok et sa banlieue. Les Siamois sont, avant tout, une aristocratie de gouvernement, une oligarchie de princes-fonctionnaires qui gravitent autour d’une dynastie sacro-sainte et qui ont su, à force d’astuce, imposer, même aux Européens, le respect d’une puissance plus apparente que réelle.

Plus souvent peut-être que d’autres, le Français est la dupe de pareils mirages : amoureux d’uniformité et de simplification, il cherche instinctivement à ramener tout ce qu’il voit à un type qui lui soit familier : il lui arrive ainsi de dresser lui-même des obstacles qu’il a ensuite beaucoup de peine à surmonter. Pressés de prévenir la concurrence de rivaux européens, les pionniers de nos entreprises coloniales songent tout d’abord à se procurer, sous la forme de traités, des titres indiscutables de propriété ; mais il arrive souvent qu’ils donnent ainsi, aux prétentions peu fondées des roitelets indigènes, la consécration d’un acte diplomatique et qu’ils partagent, avec des souverains locaux, des régions en réalité indépendantes et qui auraient dû rester, au point de vue international, dans la situation de res nullius. La faute, une fois commise, a souvent des suites graves ;