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et conserver, à Bangkok, une influence prépondérante, c’est qu’ils se sont servis de procédés tout différens.


IV

Maîtres de l’Inde, les Anglais confinaient à l’Indo-Chine : en 1826, ils allongeaient leur empire le long des côtes du golfe du Bengale ; en annexant la Birmanie maritime, ils achevaient d’isoler, loin dans les terres, le royaume birman et s’assuraient, en occupant les embouchures de l’lraouaddy et de la Salouen, des deux grandes voies naturelles de pénétration vers les marchés du Haut-Laos et de la Chine méridionale. Ce fut le premier pas, mais un pas décisif dans une marche qui se poursuit encore sous nos yeux : il portait, d’un coup, les possessions anglaises jusqu’à l’isthme de Krah et les mettait en contact avec le royaume de Siam. En remontant l’Iraouaddy, large, profond, et qui trace du Sud au Nord une magnifique voie d’eau presque rectiligne, les grands steamers parviennent, sans obstacle, jusqu’à Bhamô, à 1 450 kilomètres de l’Océan, et, de là, d’autres bateaux plus petits peuvent encore naviguer jusqu’au pied des montagnes qui forment, vers le Sud, une muraille si haute et si compacte à la vieille Chine. Quand on compare cette inappréciable route navigable au long ruban tortueux et presque inutilisable que le Mékong offre à la pénétration française, l’on est tenté de croire que les fleuves, comme l’Océan, sont anglais.

Aux avantages que la nature leur donnait, les Anglais ont su joindre la continuité d’une politique consciente de ses fins, ennemie des vaines démonstrations, mais préoccupée des résultats pratiques, forte, sans cesser d’être souple et patiente, habile à dominer sans conquérir, à peser sans frapper, à établir sans violence une suprématie d’autant plus indiscutée qu’elle sait s’imposer comme l’inéluctable. La Birmanie devint anglaise en 1885, puis, à travers les États Shans, la puissance britannique chemina vers le Haut-Mékong. En 1893, il s’agissait d’organiser un « État tampon, » dans le Laos, entre les possessions de la France et celles de l’Angleterre ; deux missions devaient en étudier sur place les limites. M. Pavie vint avec quelques compagnons ; mais le commissaire anglais se fit suivre de soldats sikhs qui occupèrent toutes les petites principautés laotiennes qui auraient pu constituer l’« État tampon » et qui, franchissant le