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Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 18.djvu/604

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Chantaboun, soit par Bangkok ; le Siam bénéficierait d’un trafic dont profitent aujourd’hui nos nationaux et mettrait les deux provinces contestées dans la dépendance commerciale de Bangkok. De même, vers le Nord, une ligne déjà en construction jusqu’à Pak-Nam-Po, remontera le Ménam par Outaradit, atteindra Xieng-Khone et aidera à rattacher effectivement tout le Haut-Laos au centre politique et économique du Siam ; en vain, d’Hanoï, nous tracerions péniblement, à travers les montagnes, une ligne qui relierait le Haut-Mékong au delta du Tonkin, nous ne parviendrions pas à évincer nos rivaux. L’achèvement de ces voies ferrées, dont les Siamois poursuivent avec ardeur les travaux, marquerait le recul définitif de notre empire d’Indo-Chine ; il serait en réalité confiné dans les deltas du Tonkin et de la Cochinchine et dans l’étroite bande côtière de l’Annam. Le Laos, si plein de promesses, et la fertile vallée du Mékong passeraient dans la sphère d’influence de nos voisins. Il n’importe guère, après cela, que ces chemins de fer soient faits par des ingénieurs français ou avec la participation des capitaux français, comme le traité du 7 octobre 1902 nous en réservait l’illusoire faculté : la faveur de nous étrangler de nos propres mains est par trop platonique pour nous suffire. — Sous peine de perdre définitivement la partie dans le bassin du Mékong, il est donc nécessaire qu’aucun chemin de fer ne puisse être construit, dans toute la zone réservée à notre influence par le protocole de 1896, sans la permission expresse de la France. Faute d’y prendre garde, nous aurons, comme il nous est déjà advenu, colonisé pour les autres.

Ainsi le problème de la domination du Mékong se résout en définitive en une question de mise en valeur et d’exploitation économique, de chemins de fer et de voies navigables. Si les négociateurs de 1893 et de 1896 ont cru qu’il était avant tout nécessaire d’assurer à la France l’hégémonie incontestée du bassin tout entier du Mékong et de ses affluens, ce n’est donc pas pour le vain amour-propre d’ajouter des territoires à des territoires, mais bien pour garantir la sécurité et préparer l’essor économique de l’Indo-Chine française. Si aujourd’hui un traité nouveau était conclu, son objectif essentiel devrait être de faire du Mékong un fleuve français, et, des voies commerciales qui viennent aboutir à son cours, des voies commerciales françaises. Tout l’avenir de notre empire d’Extrême-Orient y est engagé.