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Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 18.djvu/632

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les vides produits par la mort, l’épuisement des ressources et du courage. En 1655, les recettes du comité tarissaient à vue d’œil. Deux ans plus tard, elles étaient taries, et l’œuvre de salut demeurait inachevée. Il était précieux qu’elle eût été tentée ; un levain de bonté en subsista dans l’âme nationale.


V

Les traces du bien accompli furent promptement effacées ; les famines de 1659 à 1662, la dernière surtout, comptent parmi les plus effroyables du siècle, et peut-être de toute notre histoire. L’excès de la misère matérielle engendra une immense misère morale, en particulier dans les grandes villes, où le luxe côtoie les dénuemens les plus affreux, et Paris devint excitable et mauvais, comme toujours lorsqu’il souffre. Le carnaval de 1660 fut le plus bruyant et le plus troublé qu’eussent jamais vu les vieux Parisiens. Grands et petits cherchaient le plaisir avec une espèce de rage, et ce n’était du haut en bas de l’échelle que dissensions et querelles. Les lieux publics étaient pleins de désordres et de rixes. Il y avait des nuits où les masques étaient maîtres du pavé, et l’on a vu plus haut qu’il n’existait pas de sécurité avec ces foules composites, qui volaient jusqu’aux bougies des maisons où elles entraient. Un seul bal reçut un soir la visite de soixante-six bandes de masques, qui parcoururent la ville trois nuits de suite. L’hystérie de Paris pendant que la France mourait de faim est d’autant plus frappante, que la Cour n’était pas là pour lui communiquer son éternel besoin d’agitation et d’amusement. Louis XIV employa une grande partie de ces années critiques à parcourir son royaume.

Un premier voyage, du 26 octobre 1658 au 27 janvier suivant, eut pour objet de rencontrer à Lyon la princesse de Savoie qu’il était alors question de faire épouser au roi. En passant à Dijon, la Cour s’y arrêta plus de quinze jours. Mademoiselle nous en apprend les raisons ; elles ne sont pas glorieuses pour la royauté. Le Parlement de Dijon résistait à enregistrer certains édits qui aggravaient les charges de la province. Le Tellier « alla de la part du roi » promettre qu’il n’en serait plus question, si les États de Bourgogne portaient leur subside à un chiffre qui fut indiqué : « Sur quoi ils accordèrent ce qu’on leur demandait, et en vinrent rendre compte au roi. » Dès le lendemain, avec