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un mépris cynique de la parole royale, « Sa Majesté » allait au Parlement de Dijon faire enregistrer les édits[1]. Mademoiselle avait eu la curiosité d’assister à la séance. Le premier président fit la seule chose en son pouvoir. Il exprima courageusement ses « regrets, » et « fut loué de tous ceux qui l’entendirent. » La Cour plia bagage le jour suivant, avec une certaine hâte, « laissant Dijon et toute la province dans une grande consternation. »

Mademoiselle n’avait blâmé que la façon de s’y prendre. Au fond, elle pensait avec son temps que le souverain ne doit à son peuple que l’autorité : il ne lui doit pas le bonheur. Quelques semaines après l’incident de Dijon, se trouvant à Lyon, la proximité lui donna envie d’aller visiter sa principauté de Dombes[2], qu’elle n’avait jamais vue. La Dombes ne payait pas l’impôt au Roi, et il n’en avait pas fallu davantage pour la rendre prospère. Mademoiselle fut scandalisée du bien-être de ses sujets. Les paysans étaient bien vêtus. « Ils mangeaient quatre fois le jour de la viande, » et il n’y avait point de « misérables » dans le pays. « Aussi, poursuit Mademoiselle, n’ont-ils point payé de tailles jusqu’à cette heure, et peut-être leur serait-il meilleur qu’ils en payassent. Car ils sont fainéans, ne s’adonnent à aucun travail ni commerce. » Son petit peuple avait tout quitté et mis ses plus beaux habits pour la recevoir. En guise de remerciement. Mademoiselle tira de lui tout l’argent qu’elle put. Il faut se rappeler qu’aux yeux des grands, même les meilleurs, un paysan était à peine un homme. Nous serions mal venus à nous en indigner. Nous admettons bien que les races supérieures, ou soi-disant telles, ont le droit d’exploiter les races tenues pour inférieures et de les détruire au besoin. Nos pères se traitaient d’une classe à l’autre comme l’on se traite de nos jours d’une race à l’autre : c’est exactement le même sentiment.

A son retour de la Dombes, Mademoiselle retrouva la Cour à Lyon. Chacun y était tout yeux et tout oreilles pour un spectacle qui dérangeait les idées admises sur les rois. Marie Mancini essayait de se faire épouser par Louis XIV, et son entreprise

  1. Le Parlement de Dijon avait mauvaise réputation auprès des ministres, qui l’accusaient de se mettre en travers de toutes les réformes. Cela ne justifie pas un pareil manque de foi.
  2. La Dombes était une petite principauté indépendante, qui n’a été réunie définitivement à la France que le 28 mars 1762. Elle avait Trévoux pour capitale.