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n’avait pas l’air aussi absurde qu’il l’aurait fallu. Le mariage de Savoie avait manqué dans des conditions pénibles, qui donnaient à penser au courtisan ; le roi s’était conduit avec la princesse Marguerite en homme mal élevé. On en était à se demander si le mariage d’Espagne allait aussi manquer, et avec lui la paix tant désirée, parce qu’il plaisait à deux amoureux, dont l’un n’aurait pas dû oublier ses devoirs de roi, de proclamer les droits souverains de la passion. Anne d’Autriche devenait inquiète. Mazarin, succombant à la tentation, laissait le champ libre à sa nièce, qui « obsédait[1] » le jeune monarque de ses regards et de ses discours. Elle lui faisait perdre la tête, et il jurait tout ce qu’elle voulait. La partie n’était pas égale entre une Italienne passionnée et le timide un peu naïf qu’était alors Louis XIV. Ce fut au retour de Lyon qu’il se mit à genoux devant sa mère et Mazarin, en les suppliant de lui laisser épouser celle qu’il aimait. Il les trouva inflexibles. La reine sentait ce qu’une telle mésalliance jetterait de déconsidération sur la royauté. Le cardinal s’était ressaisi par diverses raisons et se hâta d’éloigner sa nièce.

Un second voyage dura plus d’un an. La Cour partit le 29 juin 1659 et passa par Blois. Elle s’y arrêta chez Gaston. Nous devons aux Mémoires de Mademoiselle une dernière vision de ce prince jadis si brillant, acoquiné maintenant dans son milieu provincial où rien n’était à la mode de Paris, ni les toilettes, ni la cuisine, ni l’air de la maison, ni Monsieur lui-même qui ne savait plus recevoir, et se vexa de ce que le roi lui tuait ses faisans. Il laissa voir qu’on le dérangeait, on ne lui cela point qu’on ne demandait qu’à repartir, et tout alla de travers. L’aînée de ses filles du dernier lit, Marguerite d’Orléans, avait une grande réputation de beauté. Ses parens s’étaient flattés longtemps de la voir reine de France. Elle fut défigurée par les moustiques la nuit d’avant l’arrivée du roi. On vantait extrêmement sa danse : elle dansa mal ce soir-là. Gaston avait annoncé que la petite de dix ans « causait à étourdir les gens, » et avec esprit : personne n’en put tirer mot. Rien ne réussissait. Mademoiselle n’en était pas autrement fâchée ; elle avait tremblé de voir sa cadette « au- dessus d’elle. » A peine la Cour fut-elle remontée en voiture, que la carrossée royale, suivant une habitude de tous les temps,

  1. Motteville.