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Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 18.djvu/635

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se mit à se moquer de ses hôtes. Le roi plaisantait de la figure de son oncle en voyant tomber ses faisans. Mademoiselle riait avec les autres. Elle s’était pourtant laissé prendre à une scène de tendresse que lui avait jouée son père.

Il était venu la réveiller à quatre heures du matin : « Il s’assit sur mon lit et me dit : « Je crois que vous ne serez pas fâchée que je vous aie éveillée, puisque je n’aurais pas eu le temps de vous voir tantôt. Vous allez faire un grand et long voyage... Je suis vieux, usé ; ainsi je puis mourir pendant votre absence. Si je meurs, je vous recommande vos sœurs. Je sais bien que vous n’aimez pas Madame ; qu’elle n’a pas eu envers vous toute la conduite qu’elle eût pu avoir ; ses enfans n’en peuvent mais ; pour l’amour de moi, ayez-en soin. Elles auront bien besoin de vous ; car pour Madame, elle ne leur sera pas d’un grand secours. » Il m’embrassa trois ou quatre fois. Je reçus cela avec beaucoup de tendresse ; car j’ai le cœur bon... Nous nous séparâmes fort bien, et je me rendormis. »

Mademoiselle crut qu’ils avaient enfin réussi à s’aimer. Six semaines plus tard, un scandale éclatait à la Cour de France, alors à Bordeaux. Le duc de Savoie avait refusé d’épouser la princesse Marguerite d’Orléans, et Mademoiselle était accusée d’avoir écrit secrètement au duc que sa sœur était bossue. L’accusation partait de Gaston, qui disait en avoir la preuve. Ce fut une affaire très désagréable pour Mademoiselle, et après laquelle il n’y avait plus d’illusion possible : Gaston était toujours Gaston, l’homme le plus dangereux de France.

De Bordeaux, la Cour se rendit à Toulouse, où elle fut rejointe par Mazarin, qui venait de signer la paix des Pyrénées (7 novembre 1659). Les articles en sont dans toutes les histoires. Leurs conséquences pour l’Europe ont été ramassées en quelques lignes lumineuses par le grand historien allemand, L. Ranke, frappé des avantages que le traité nous donnait sur son pays : « S’il faut caractériser d’une façon générale les résultats de cette paix... nous dirons que leur importance résidait dans la constitution et l’extension du grand système géographique militaire de la monarchie française. De tous les côtés, aux Pyrénées, aux Alpes, surtout sur les frontières de l’empire allemand et des Pays-Bas, la France acquérait par ses nouvelles places fortes... autant de positions aussi importantes pour la défense que favorables à l’attaque. Sa position sur le Haut-Rhin, qu’elle devait à la paix