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Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 18.djvu/651

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avoué du reste et affiché par lui-même avec une belle assurance, lui est amèrement reproché. Eh ! quoi donc ? a-t-on pensé dans les sphères savantes, voici un homme dont les études universitaires ont porté sur la botanique, qui, écarté par le soin de sa santé des minutieux travaux du laboratoire, s’est consacré à l’exégèse de l’art et de la théorie wagnérienne, et qui, soudain, se prend à traiter sur le ton le plus décidé, parfois le plus agressif, de la jurisprudence, de la science sociale, de l’économie politique, de la philosophie, de la religion. Des voix courroucées lui crièrent donc aussitôt : « Halte-là ! » du haut de ces petits postes fortifiés où se retranchent les spécialistes, appuyés sur les munitions érudites qu’ils accumulèrent durant une vie de patiens efforts. L’intrus s’est pourtant défendu de son mieux, et, témoignage frappant en sa faveur, il a trouvé des alliés jusque dans le camp de ses adversaires les plus techniques. Quelques-uns parmi les professionnels assurent en effet avoir poussé un soupir de soulagement devant une manifestation intellectuelle si franche, si dégagée des petitesses de métier et des complaisances médiocres. « On le suit le cœur battant, dit l’un de ces lecteurs, avec un indicible sentiment de délivrance, sur les cimes éclatantes que ce guide inspiré vous a désignées du doigt. » Mais voici mieux encore : écoutez ces accens d’humilité touchante sortis de la bouche d’un prosélyte, qui se complaît au récit de sa conversion : « On travaille, on lutte, on s’épuise durant de longues années pour acquérir une conception personnelle du monde ; déjà on se croit près du but auquel on aspirait ardemment. Soudain parait une œuvre si destructive, jetant si franchement par-dessus bord toutes nos acquisitions, se jouant avec tant de simplicité au sein des plus difficiles problèmes, qu’on se trouve bien, bien petit quand on se compare. Mais on se console alors par cette réflexion : il ne paraît pas à toute heure un Leibnitz, un Bayle, un Winckelmann, des frères Humboldt, un H. S. Chamberlain. Alors, au lieu de déplorer avec colère qu’il ne soit pas donné à tous d’atteindre les hauteurs que ces esprits exceptionnels gravissent sans effort, au lieu de regretter que de pareilles cimes se laissent seulement apercevoir de loin dans le vague de la brume, on se sent, au contraire, reconnaissant au Destin de nous avoir fait les contemporains de semblables guides, qui savent nous apporter quelques nouvelles des sommets. » Effusion naïve dont la sincérité est écrite dans son accent. Et nous