Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 18.djvu/737

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

caravanes. Elle se lève, pure et belle, jetant la lumière à flots, et nous révélant des vapeurs que nous n’avions pas vues. Non plus de ces voiles de sable et de poussière, comme les jours précédens, mais de vraies et précieuses vapeurs d’eau qui, sur toute l’oasis, sont posées au ras du sol, comme pour couver la vie des hommes et des plantes, en cette petite zone privilégiée, quand tout est sécheresse et désolation aux abords ; elles ont des formes très nettes, et on dirait des nuages échoués, qui seraient tangibles ; leurs contours s’éclairent du même or pâle que les flocons aériens en suspens là-haut près de la lune ; et les tiges des dattiers émergent au-dessus, avec toutes leurs palmes arrangées en bouquets noirs. Ce n’est plus un paysage terrestre, car le sol a disparu ; non, c’est quelque jardin de la fée Morgane, qui a poussé sur un coin du ciel...

Sans y rentrer, nous frôlons Boradjoune, le grand village de l’oasis, dont les maisons blanches sont là, parmi les brumes nacrées et les palmiers sombres. Alors deux voyageurs persans, qui avaient demandé de cheminer avec nous, m’annoncent qu’ils s’arrêtent ici, prennent congé et s’éclipsent. Et mes trois cavaliers, qui s’étaient présentés avec de si beaux saints, où donc sont-ils ? Qui les a vus ? — Personne. Ils ont filé avant la lune levée, pour qu’on ne s’en aperçoive pas. Voici donc ma caravane réduite au plus juste : mon tcharvadar, mes quatre muletiers, mes deux domestiques persans loués à Bouchir, mon fidèle serviteur français et moi-même. J’ai bien une lettre de réquisition pour le chef de Boradjoune, me donnant le droit d’exiger de lui trois autres cavaliers ; mais il doit être couché, car il est onze heures passées et tout le pays semble dormir ; que de temps nous perdrions, pour recruter de fuyans personnages qui, au premier tournant du désert, nous lâcheraient encore ! A la grâce de Dieu, continuons seuls, puisque la pleine l’une nous protège.

Et derrière nous s’éloigne l’oasis, toute sa fantasmagorie de nuages dorés et de palmes noires. A nouveau, c’est le désert ; — mais un désert de plus en plus affreux, où il y a de quoi perdre courage. Des trous, des ravins, des fondrières ; un pays ondulé, bossue ; un pays de grandes pierres cassées et roulantes, où les sentiers ne font que monter et descendre, où nos bêtes trébuchent à chaque pas. Et sur tout cela qui est blanc, tombe la pleine lumière blanche de la lune.

C’est fini de ce semblant de fraîcheur, qui nous était venu de