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Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 18.djvu/777

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D’opinion sur les choses présentes, je n’en ai guère. Mais j’ai quelques croyances théoriques. Parle-moi dans ta prochaine lettre de ce qu’il te semble des principes généraux de cette science, si tu crois qu’elle est une science.


A Monsieur Cornélis de Witt.


Nevers, 15 octobre 1851.

Mon cher ami, tu as dû me trouver bien oublieux et bien ingrat, moi qui n’ai pas répondu à ton aimable lettre, ni à celle que m’envoyait M. Guizot. J’attendais chaque jour ma nomination, et je voulais te prévenir. Mon pauvre ami, ç’a été une seconde bataille perdue. M. le ministre m’envoie d’abord à Toulon, à l’extrémité sud de la frontière ; belle réponse à des lettres qui lui demandaient pour moi le Midi. Ma mère désolée est allée avec moi chez M. Lesieur, chef du personnel ; et on m’envoie aujourd’hui à Nevers, collège communal comme Toulon, avec 1 200 francs. Apparemment M. le ministre, qui sait que je n’ai pas la foi, veut me donner la tempérance et autres vertus philosophiques. Soit, me voici installé, et je serai aussi vertueux qu’il le faudra.

J’ai su de source certaine que M. Cousin, dans son travail préparatoire, m’avait placé dans un lycée (autrement dit collège royal). C’est M. le ministre qui m’a mis dans un collège communal. Probablement on lui a dit que j’étais un vampire, que je suçais le sang des petits enfans. M. Gratry, dont tu as su l’affaire, était aumônier de l’Ecole, et voyait en particulier les zélés. Inde iræ. Mes notes de l’Ecole et le rapport fait sur mes classes à Bourbon étaient tels que je pouvais le désirer. Tout cela n’a servi de rien. D’avance j’étais desservi.

Au reste, mon cher, mon parti est pris et me voici tout consolé. J’ai une chambre ; mes livres et mon piano vont venir. Je vais lire mes philosophes et faire quelques recherches personnelles, commencées déjà l’an dernier. Tu sais combien une occupation de cette nature vous enlève aisément au spectacle des choses environnantes, et ce qu’il y a de plaisir à suivre les progrès d’un travail semblable. Peut-être n’y a-t-il pas d’autre moyen de se soustraire à la monotonie et à la longueur de la vie de province. Peut-être encore n’y a-t-il pas d’autre vie possible pour ceux qui, touchés d’un doute que tu ne ressens pas, ont essayé