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je n’ai plus de papier et je t’épargne. Un dernier service pourtant : on m’a donné diverses versions sur la manière de corriger. Les uns disent que c’est une commission, les autres toute l’Académie. Tu comprends quelle importance cela aurait. M. Guillaume, couronné dans le sérail, en connaît les détours. Peux-tu, par lui ou autrement, me donner un mot de renseignement là-dessus ? Merci de ton aimable et trop flatteuse lettre, quoique tu m’y appelles serpent, et que tu parles de mon fiel. Hélas ! mon cher, on dormirait en France, si l’on ne médisait pas ; et La Fontaine était de dangereuse compagnie. Tite-Live m’ôtera le venin.

La lettre de M. Guizot est bien encourageante, c’était déjà beaucoup d’avoir lu ma bluette[1] ; c’est plus encore d’en parler comme il m’en parle. Je ne puis que l’en remercier du fond du cœur.

Heureux Tityre, qui vois les arbres et les prés de ta fenêtre ! Quelle odeur de bibliothèque moisie cette pauvre lettre doit t’apporter !


A Monsieur Cornélis de Witt.


Paris, 29 novembre 1853.

Cher ami, je t’envie ton beau climat, et j’espère que la santé de Mme de Witt est plutôt une occasion qu’une raison de passer l’hiver à Hyères. Je suis resté dans ce sale Paris toutes les vacances, sauf dix jours, et je le regrette d’autant plus qu’en ce moment j’ai la sottise d’être malade. Mes misères, comme dit Pascal, me prennent à la gorge, c’est-à-dire au larynx. Depuis un mois, je suis muet ; je garde la chambre, je bois toutes sortes de choses, on me brûle l’intérieur de la gorge, et


J’imite de Conrart le silence prudent.


Il faut être obligeant comme M. Guillaume Guizot pour venir voir un être aussi peu amusant que moi, et je te charge de l’en remercier à distance. Cependant j’enrage à part moi. O heureux chiffonniers, vendeurs d’habits, marchands de légumes, qui criez avec une si belle voix le matin par le brouillard ! Le temps où je parlais me semble un mythe. Le pis est que le médecin m’ordonne de ne rien faire, sous prétexte que cette inflammation vient d’un échauffement. Je passe le jour à regarder brûler mes

  1. La thèse sur les Fables de La Fontaine.