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Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 18.djvu/870

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dessous de la philosophie historique contemporaine en Allemagne : l’aryanisme politique et aristocratique, d’une part, c’est-à-dire celui de Gobineau, qui est aussi celui de Nietzsche dans sa période intéressante ; l’aryanisme philosophique et religieux, d’autre part, c’est-à-dire celui de Schopenhauer et de l’école wagnérienne. Les mots d’ordre du premier sont : septentrionalisme intransigeant, race blanche pure, Anglo-Saxons, volonté, libre arbitre, positivisme, impérialisme ! Ceux du second : méridionalisme, origine noire de l’humanité. Bouddha, déterminisme, mysticisme, extase artistique ! A la faveur de quelque dextérité dialectique, nous pouvons bien attribuer l’une et l’autre tournure d’esprit aux Aryens comme aux Sémites, parce que toutes les grandes civilisations ont enfermé dans leur sein ces contrastes intellectuels : mais, pour notre usage personnel, il nous faut opter entre les deux partis sous peine de nous traîner de contradictions en impossibilités.

Si nous sommes Aryen et doucement sentimental, disons les Sémites juifs volontaires, matérialistes et rationalistes, avec Schopenhauer ; si nous nous sentons Aryen et impérialiste, nommons ces mêmes Sémites mélaniens, bouddhistes, artistes, rêveurs, avec Gobineau, en nous réservant soigneusement les qualités contraires. Mais peindre l’Aryen à la fois artiste et réaliste, rêveur et pratique, impérialiste et attendri, c’est une gageure intenable. M. Chamberlain a tenté de la gagner : il marche avec Gobineau dans l’ordre temporel, avec Schopenhauer dans la sphère spirituelle : de là une confusion dont il lui est impossible de se dégager entièrement, en dépit de ses dons éminens de debater et de styliste. Ajoutons que, par une étrange mésaventure, ces deux aryanismes qui ne s’accordent en rien se touchent cependant dans leur égale incapacité à distinguer le Juif de l’Anglo-Saxon. Tandis que l’aryanisme gobinien ou anthropologique est contraint de concéder à l’Israélite l’énergie, la ténacité, l’intelligence pratique, qui l’éloignent des Sémites noircis pour le rapprocher des Aryens, l’aryanisme schopenhauerien est forcé de stigmatiser dans l’Anglais l’optimisme, le matérialisme, l’arrivisme, qui sont, à ses yeux, des insuffisances judaïques. Par là tous deux identifient bon gré mal gré Juif et Saxon, s’ils continuent d’opposer de leur mieux Aryens et Sémites.

On sait l’affinité intellectuelle souvent révélée par les événemens entre les âmes israélites et britanniques, depuis les inspirations