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mosaïques des puritains jusqu’aux jongleries bibliques des Mormons, et qu’une théorie, récemment reprise par quelques fantaisistes d’outre-Manche, fait descendre des dix tribus d’Israël, un instant égarées dans le capharnaüm de la science historique, les enfans contemporains d’Albion. Faut-il rappeler encore que le créateur de l’impérialisme jingoë fut un Juif, Disraeli, et qu’au total on pourrait bâtir toute une thèse sémitico-aryaniste sur le spectacle du monde moderne, en classant Israélites et Yankees sous la rubrique commune de conquérans nietzschéens ! Un critique allemand écrivait, peu après l’apparition des Assises[1] : « Il est vraiment singulier qu’un écrivain aussi pénétrant qu’érudit, et qui d’ailleurs, né en Angleterre, a pour ainsi dire l’Angleterre sous le nez, ait pu analyser si longuement la psychologie des Juifs sans s’apercevoir qu’il caractérise tout simplement ses compatriotes. Que les Anglais et les Yankees soient de purs Juifs pour le pharisaïsme et le sens des affaires, c’est ce dont le monde convient unanimement, car cela a été répété partout. Nul ne s’étonne même que le Juif ne joue pas de rôle en Angleterre et aux Etats-Unis : la raison en est que les indigènes reproduisent ses traits à une plus haute puissance. » Nous percevons ici la voix de l’Allemagne celtique, familiale, sentimentale, qui tremble devant la prussification grandissante et confond dans une égale réprobation les grands financiers cosmopolites et les oppresseurs des Boers ! Schopenhauer est sorti de cette Allemagne-là : c’est pourquoi l’entreprise est sans issue qui s’efforce d’allier ses leçons de charité sans réserve aux durs préceptes de l’impérialisme théorique.

Le Juif Spinoza est en particulier l’objet de la constante malveillance de M. Chamberlain. Prévention des plus injustes, si l’on songe que le solitaire de La Haye fut profondément germanique, à définir le germanisme philosophique comme le fait M. Chamberlain, c’est-à-dire déterministe, mystique et christiste[2]. On sait les accens de reconnaissance réfléchie[3] que l’auteur de

  1. Grenzboten, 5 avril 1900.
  2. Nous nommons ici « christisme » l’admiration pour la personne du Christ, unie à la condamnation des Églises qui sont sorties de lui.
  3. Voyez Vérité et Poésie (111, 14). « Heureusement, j’avais reçu en moi la personnalité et la doctrine d’un homme extraordinaire : d’une manière incomplète, il est vrai, et comme à la dérobée ; mais j’en éprouvais déjà de remarquables effets. Cet esprit qui devait avoir sur toute ma manière de penser une si grande influence, c’était Spinoza. En effet, après avoir cherché dans le monde entier un moyen de culture pour ma nature étrange, je finis par tomber sur l’Éthique de ce philosophe. Ce que j’ai pu tirer de cet ouvrage, ce que j’ai pu y mettre du mien, je ne saurais en rendre compte, mais j’y trouvai l’apaisement de mes passions... Ce qui m’attachait surtout à Spinoza, c’était le « désintéressement » sans bornes qui éclatait dans chacune de ses pensées. Cette parole admirable : « Celui qui aime Dieu parfaitement « ne doit pas demander si Dieu l’aime aussi, » remplissait toute ma pensée. Ce mot hardi qui vient après : « Si je t’aime, que t’importe, » fut le véritable cri de mon cœur... Toutefois... les plus intimes unions résultent des contrastes. Le calme de Spinoza, qui apaisait tout, contrastait avec mon élan, qui remuait toutes choses... Par une affinité nécessaire s’accomplit l’union des êtres les plus différens. «