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Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 18.djvu/919

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mais nous venons de voir que la corruption y est un moyen de gouvernement. Il arrive d’ailleurs qu’en se promenant par les rues on ait d’étranges spectacles : « On met sur la porte de Ludgate les têtes de ceux qui ont été exécutés pour crime de lèse-majesté, qu’on appelle ici haute trahison. Il y en a actuellement trois plantées sur des piquets : entre lesquelles on dit qu’il y a encore celle d’Olivier Cromwell. » En Angleterre, la justice s’accorde toujours avec l’humanité : toutefois les femmes qui ont trompé leur mari sont brûlées vives ; ce que Saussure n’hésite pas à déclarer excessif. La torture n’existe pas et on ne soumet pas les prisonniers à la question. « Les Anglais disent qu’il vaut mieux que dix coupables échappent à la justice humaine, plutôt qu’un seul innocent périsse. » Néanmoins, lorsqu’un criminel ne veut pas plaider sa cause et qu’il récuse l’autorité et le pouvoir du tribunal, on lui applique une espèce de question, appelée « la presse, » dont Saussure nous donne cette description savoureuse : « On couche le prisonnier à terre, on lui attache les mains et les pieds à des pieux, de façon que son corps soit en croix, et l’on met sur son estomac une planche que l’on charge de poids que l’on augmente de quatre heures en quatre heures. » Ce n’est pas la torture, certes non ; mais cela y ressemble furieusement. La tolérance religieuse y est absolue ; mais elle a pour base une foncière irréligion. Saussure, qui est bon chrétien, note ce libertinage qu’il a observé chez les grands, tant par rapport à la religion que par rapport aux mœurs. Quant au peuple, « je suis persuadé, dit-il, qu’un très grand nombre n’ont jamais été à l’église, et n’ont aucune teinture de religion. » La liberté de penser est entière, à moins pourtant qu’on ne prétende à quelque emploi civil ou militaire. Ce pays qui a vingt religions, sans avoir de religion, a tout de même une religion d’État. Et il va sans dire que lorsqu’on parle de liberté, c’est toutes exceptions faites à l’égard des catholiques. On tolère, par exemple, qu’ils se rendent le dimanche à certaines chapelles que possèdent chez eux de grands seigneurs leurs coreligionnaires. « Ces assemblées particulières sont interdites par les lois, mais le ministère actuel est fort tolérant et il ferme les yeux pour ne pas s’en apercevoir. Je ne doute pas cependant que, si cela allait trop loin, il n’y mît ordre, car il doit se souvenir des maux et des révolutions que le zèle amer des catholiques a causés en Angleterre… Lorsqu’on enrôle des soldats, surtout pour les gardes, on leur fait prêter serment qu’ils sont protestans. Si l’un d’eux, après avoir été enrôlé et après avoir servi quelque temps, venait à être découvert allant à la messe et faisant profession de la religion catholique, il