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serait condamné à être pendu. » Que pourrait-on donc bien lui faire dans un pays où il y aurait moins de tolérance et un moindre respect de la liberté de penser ?

Quel est en dernière analyse le jugement que porte notre voyageur sur cette vie anglaise qu’il a si minutieusement décrite ? César de Saussure s’est efforcé de composer une relation complète, et de noter les défauts aussi bien que les qualités des Anglais. Bien des choses l’ont séduit dès son arrivée dans le pays, et notamment l’air de prospérité qu’il a observé dans toutes les classes : les paysans eux-mêmes sont bien nourris et confortablement vêtus. D’autre part, il a été choqué par cet orgueil des Anglais et cet amour-propre qui leur donne à penser qu’il ne se fait rien de bien que chez eux. Dans la mesure où ses préjugés le lui permettent, Saussure tâche d’être impartial. Il n’en est que plus intéressant de le voir établir entre les Anglais et les Français cette sorte de comparaison qui, depuis Muralt, tend à devenir un lieu commun de la littérature étrangère jusqu’à ce qu’elle devienne une coquetterie de nos écrivains, et qui sur tous les points aboutit à donner aux Anglais la supériorité. Car c’est toujours à la France que Saussure se reporte en pensée, et il se sert de son exemple comme de repoussoir. S’agit-il du gouvernement, de l’administration des finances et de la justice ? C’est par contraste avec le despotisme français, avec l’arbitraire français, qu’il se livre à un panégyrique enthousiaste et sans réserve de la Constitution anglaise. « L’Angleterre est une des nations du monde les plus heureuses et les mieux gouvernées de l’Europe… L’on dit communément que les rois d’Angleterre ont tout le pouvoir nécessaire pour faire à leurs sujets autant de bien qu’ils veulent, mais que les lois les lient et les empêchent de faire du mal. » Voltaire ni Montesquieu ne se sont fait faute de le répéter, et précisément en ces termes. Tandis que les Français se font du souverain une idole qu’ils n’osent apercevoir que de loin, les Anglais saluent familièrement leur prince, et à l’occasion lui lâchent une bordée d’injures cordiales. Plus d’une fois les bateliers de la Tamise ont accueilli la reine Anne du sobriquet de « boutique d’eau-de-vie, » sans qu’elle ait jamais songé à s’en formaliser. Voilà les mœurs de la liberté. Pour la perception des impôts, on n’emploie pas, comme en France, le système de la ferme, et le peuple n’est pas ainsi exposé à la tyrannie et aux vexations des traitans. Devant les tribunaux où fonctionne le jury, l’accusé est entouré de toutes les garanties ; la justice est équitable, la pénalité n’est jamais cruelle.

S’agit-il du caractère des deux nations ? Le parallèle est ici pro-