Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 18.djvu/921

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

longé à satiété, poussé dans tous les détails, et, si l’opposition est nettement marquée, elle n’est pas à notre avantage. Aux Français l’esprit, mais aux Anglais le bon sens ; à ceux-ci la solidité, la frivolité à ceux-là. « On voit rarement parmi les Anglais de ces esprits vifs, pétulans, enjoués, comme il y en a tant en France. Il y en a peu qui s’amusent à forger et à écrire des romans d’amour dans le goût des Français. Mais il y en a beaucoup qui écrivent des ouvrages savans et profonds tels que ceux de Newton, de Tillotson, de Ratclif, d’Addison et de tant d’autres. » Il semble que, dans la patrie de Descartes et de Pascal, Saussure aurait pu trouver quelques ouvrages qui n’étaient pas des romans d’amour ; mais on sait de reste que les faits ne prévalent jamais contre une opinion préconçue. Le Français naît courtisan, tandis que l’Anglais aime trop la liberté pour être propre aux mœurs de la cour : il n’est pas rampant, il ne fait jamais de bassesses pour obtenir quelque chose : un homme disgracié de la Cour ne perd point ses amis ; au contraire, souvent il en acquiert de nouveaux. Le Français recherche avant tout les satisfactions de vanité, l’Anglais leur préfère les avantages sérieux : « Le commerce n’est point regardé dans ce pays sur le même pied qu’il l’est en France ou en Allemagne. Celui qui s’y adonne ne déroge point. Le fils d’un pair peut devenir marchand sans perdre ses droits. On voit souvent le cadet d’un lord se mettre dans le commerce, et, au bout de quelques années, rétablir les affaires de sa maison dérangées par la mauvaise conduite de son frère aîné. » Le Français est l’homme de société, esclave de la mode, respectueux de l’opinion d’autrui, inquiet du qu’en-dira-t-on et poursuivi par la crainte du ridicule ; nulle personnalité, aucun relief, le caractère effacé par les exigences de la vie de salon. L’Anglais lui seul sait être un individu. Plutôt que de subir la gêne et la contrainte, et jaloux uniquement de vivre à sa fantaisie, il passera, s’il le faut, pour singulier et bizarre. Excessif en toutes choses, il pousse les vertus et les vices plus loin qu’aucune autre nation. Ce principe, qui consiste à aller toujours jusqu’aux extrémités, il l’applique en toutes occasions, et de là viennent des effets qui, en apparence, semblent si différens. « Les uns aiment avec passion la chasse, les chevaux et les chiens ; d’autres, les femmes, le vin et le jeu ; d’autres les spectacles, et d’autres enfin, l’étude et les sciences. Ne faisant rien à moitié, ils se consacrent entièrement au genre de plaisir qui les attire le plus. Je suis persuadé que c’est là une des raisons pour lesquelles on voit en Angleterre tant de savans de premier ordre, tant de libertins et de débauchés. » Et voilà déjà la théorie de