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Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 18.djvu/927

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exemple, le tableau qu’il nous fait des querelles qui éclataient : presque chaque jour entre ses parens :


Ma mère était à coup sûr plus que suffisamment instruite pour mon père, et savait parler ni mieux ni plus mal que toute autre honnête femme ; et elle avait bien, elle aussi, sa façon de se représenter la vérité et le mensonge, le juste et l’injuste. Et alors, quand mon père, à la moindre occasion, commençait son spectacle, qui consistait toujours à traiter manière comme si elle était la dernière des femmes sur la terre de Dieu, alors il arrivait,— non pas toujours, mais assez souvent, — qu’elle donnait réponse à mon père, en devenant plus vive à mesure qu’elle parlait ; et quand alors elle l’atteignait juste, avec ses paroles, voilà que mon père saisissait au plus vite le premier objet qui lui tombait sous la main, un bâton, ou un rouleau à pétrir le pain, ou n’importe quelle bûche, et alors il s’en servait pour taper sur ma mère : et c’est ainsi qu’il tenait son jugement dernier. Et personne ne pourrait avoir l’âme plus défaite que nous l’avions, moi et mes deux sœurs aînées, qui nous trouvions d’ordinaire condamnés à être témoins de l’opération. Car ensuite venait invariablement un repos ; quelque temps encore, nous entendions notre mère pleurer doucement ; et, quand cela aussi était fini, alors régnait chez nous, dans la maison, un calme de mort ; alors personne ne disait plus une parole tout haut...

Une fois, par un beau soir d’été, mon père n’était pas allé au cabaret, parce qu’il avait eu quelque chose à faire chez nous. Vers les neuf heures et demie, je me trouvais assis près de ma mère sur les marches, devant la maison, et ma mère tenait mon dernier petit frère dans ses bras. Alors, après un moment, elle me dit que je devais aller me coucher ; et je lui dis bonsoir, et j’allai me coucher. La chambre où je dormais était au rez-de-chaussée, sur le derrière de la maison, mais avec une fenêtre qui donnait sur une ruelle latérale. Cette chambre servait alors à loger mon grand-père maternel, qui demeurait chez nous à ce moment-là ; et il s’y trouvait deux lits, dans l’un desquels dormait mon grand-père, et moi dans l’autre. Mais mon grand-père était encore sur pied, quand je vins me coucher ; toujours il était le dernier de nous deux à se mettre au lit. Le matin, il fendait du bois pour mon père, puis il se cherchait de l’ouvrage dans le jardin, ou quelque autre travail, car jamais il ne restait oisif. Mais l’après-midi, pour peu qu’il en trouvât le temps, il aimait à écrire, souvent même pendant deux heures de suite, tant qu’il voyait clair. Et près de son papier il avait toujours sa Bible, grande ouverte, de sorte que je pensais d’abord qu’il en copiait des passages. Mais pas du tout : car une ou deux fois j’ai lu en cachette ce qu’il avait écrit, et c’était tout à fait pareil à ce que le pasteur prêche dans son église. Or, ce soir-là, à peine étais-je dans mon lit, que j’entendis fermer avec violence la porte de la maison. Tout de suite après, on frappa doucement à cette porte, et bientôt ensuite à notre fenêtre. Et mon grand-père ouvrit celle-ci ; et voilà que ma mère était dehors, dans la ruelle, et très excitée. Et, à la demande de mon grand-père, pour savoir ce qu’il y avait, ma mère dit : « Hé ! je me tenais devant la porte avec le petit dans les bras, lorsque voilà que tout à coup, derrière mon dos, on pousse