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Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 18.djvu/929

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Le boulanger Fischer, lui non plus, n’était pas au fond un méchant homme. Tout en battant sa femme, il ne manquait pas d’une certaine amitié pour elle ; et, pareillement, il aimait son fils, tout en ne manquant pas une occasion de le rudoyer. Quand l’enfant était malade, son père s’asseyait près de son lit, lui lisait des chapitres de l’Ancien Testament, lui racontait des histoires, ou bien lui chantait toute sorte de belles chansons en s’accompagnant sur sa guitare. Mais, à peine l’enfant guéri, les coups recommençaient. Sous n’importe quel prétexte, le père se fâchait, imposait à son fils quelque travail au-dessus de ses forces, et le punissait ensuite pour l’avoir mal fait. C’est même à ce régime d’éducation que Fischer doit d’avoir connu pour la première fois l’Évangile. Il était allé, un jour, faire l’école buissonnière avec un petit vacher : sur quoi son père, ravi d’une aussi belle occasion d’assouvir sa méchante humeur, l’enferma dans sa chambre en lui donnant à apprendre trois chapitres de la Bible.

C’était, ce père, un homme intelligent et un habile ouvrier, mais dont l’âpreté naturelle avait encore été exaspérée par de gros revers de fortune. Il avait été surtout une victime de la Révolution de 1848, et cela dans les remarquables circonstances que voici :


Cependant, nous dit son fils, l’année 1848 avec ses magnificences était arrivée aussi à Rothenbourg (petite ville de Silésie où demeuraient les Fischer). Notre pasteur s’appelait Schœn, et la circonscription l’avait élu pour être député à Berlin : c’est ainsi que commença toute l’histoire. Car alors nous eûmes un autre pasteur : et le pasteur Schœn, étant revenu à Rothenbourg, y fonda une église libre : était-ce en 48 ou déjà en 49 ? Je ne le sais plus. Alors la plupart des habitans passèrent à l’église libre, et aussi les deux autres boulangers qui demeuraient dans la ville ; mais mon père, non : il resta fidèle à l’ancienne église. Cela fut vite connu et, d’un seul coup, notre affaire fut réglée. Les gens firent à mon père ce qu’on appelle aujourd’hui un boycottage. A présent, quand je me réveillais le matin, je n’entendais plus aucun bruit, ni dans la maison, ni dans l’atelier, comme j’avais l’habitude d’en entendre jusque-là : et comme cela m’oppressait et m’angoissait l’âme ! Mon père, maintenant, ne faisait plus de pain que deux fois par semaine, simplement pour empêcher le fourneau de se refroidir tout à fait. Et quand je revenais de l’école, voilà que ma mère était assise sur une chaise et pleurait, pleurait, à part soi ; et cependant elle continuait à trouver que mon père avait bien fait de rester fidèle à l’ancienne église.


En 1854, les Fischer furent contraints de quitter Rothenbourg, et vinrent se fixer à Eisleben, d’où le boulanger était originaire. Ce fut là que le petit Charles célébra sa confirmation, ce qui, comme l’on sait, est une cérémonie équivalente à la première communion. « Enfin