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Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 18.djvu/930

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arriva le jour de la confirmation : et le pasteur me donna à méditer la même phrase qu’il avait autrefois donnée à mon père : « Ta vie durant, aie Dieu devant tes yeux et dans ton cœur, et garde-toi de commettre volontairement aucun péché, ni de rien faire contre l’ordre de Dieu ! » Mes parens, ce jour-là, vinrent tous deux à l’église. Ma mère n’était point parvenue à enlever les taches de couleur de mon habit (un vieil habit du père, que l’on avait raccourci à l’usage du fils). Et ce fut dans cet habit que je dus comparaître à l’église, car mon père n’avait pas été en état de m’acheter qu’un pantalon, une casquette, et une paire de bottes. Et le soir, quand mon père fut sorti, je dis à ma mère : « J’étais, bien sûr, le seul à porter un vieil habit ! » Mais elle me dit : « Non, mon fils, il y en avait encore un autre comme toi ! Le petit du brossier Stab, lui aussi, avait un vieil habit. » Et cela me fît grand plaisir d’apprendre que je n’avais pas été le seul dans mon cas. »

Mais bien plus attachantes encore sont les pages où Fischer nous raconte les sept années pendant lesquelles il a été occupé (avec de longs intervalles de chômage) à des travaux de terrassement pour les chemins de fer dont l’Allemagne était alors en train de se sillonner. Rien ne saurait donner une idée de l’extraordinaire existence, misérable et joyeuse, qu’il a menée là, contraint pendant des mois à camper dans les champs, plus séparé du reste des hommes que s’il avait été transporté dans une île déserte, et souvent malade, souvent réduit à mendier ou même à voler, mais toujours l’âme résignée et le cœur plein d’espoir. Avec quelle vérité simple et vigoureuse il évoque devant nous cette période de sa vie, nous conduisant avec lui d’équipe en équipe, nous racontant ses entretiens avec ses camarades, nous égayant de ses maigres plaisirs ou nous apitoyant sur ses souffrances sans avoir jamais un mot de plainte contre les hommes ni la destinée ! Il y a, dans ces chapitres du livre, des pages d’un intérêt plus romanesque que les aventures les mieux inventées qu’on voit dans les romans, des pages d’une tristesse vraiment tragique sous leur simplicité, coupées çà et là de clairs et frais intermèdes comme celui-ci :


Notre campement se trouvait alors dans un bel endroit ; de trois côtés nous étions entourés de bois, et, du haut de la colline que traversait la ligne en construction, nous avions une vue qui nous ravissait de plaisir. Et comme le bel été était arrivé, tous les dimanches, après-midi, beaucoup de gens venaient des environs, par manière de promenade, et regardaient notre travail, ce qui était déjà fait et ce qui restait encore à faire ; et alors ils avaient soif, et s’adressaient à notre cantinier. Celui-ci comprit bientôt son avantage ; il planta des poteaux dans le sol, y cloua des planches, pour faire