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il convient de s’arrêter aussitôt. À ce moment, quiconque est à même de tenir un crayon possède, de ce fait, un moyen de se reposer et de renouveler en lui les facultés d’observation qui lui sont indispensables pour reprendre sa tâche. En cherchant parmi les tableaux qui sont l’objet principal de son étude, ceux qui lui paraissent les plus intéressans, il peut choisir l’un d’eux pour en faire un dessin rapide. En même temps qu’il se procure ainsi un repos et une détente, il trouvera dans cette diversion l’occasion de pénétrer dans une compréhension plus intime de ce qui fait l’originalité et le mérite du maître qu’il étudie. Ainsi coupées par ces occupations, très différentes, de notes écrites et de croquis, les séances d’étude dans les musées peuvent être utilement prolongées fort au-delà du temps que leur consacrent d’habitude ceux qui n’ont pas la ressource de dessiner.

La fréquentation des directeurs de musées est aussi singulièrement instructive. Ils sont, en effet, pour la plupart, érudits et obligeans. Quelques-uns même comptent parmi les meilleurs historiens d’art de notre époque. Mieux que personne, en tout cas, ils sont bien placés pour connaître à fond les collections dont ils ont la garde. Ayant longtemps vécu avec les œuvres qu’elles contiennent, ils les ont maniées et examinées à loisir ; ils savent tout ce qui a été dit sur elles et le plus souvent ils ont eux-mêmes contribué à résoudre les problèmes délicats que peuvent soulever plusieurs d’entre elles. Avec eux, on sort vite des banalités pour aborder des questions précises, et quand ils voient que leurs interlocuteurs sont gens sérieux, désireux de s’instruire, ils leur fournissent les facilités d’étude les plus précieuses : décrocher des tableaux pour les mettre à meilleur jour, les rapprocher d’œuvres similaires pour les mieux comparer, discuter ensemble des attributions incertaines ou des dates douteuses, etc. Que de bonnes heures je leur ai dues, pour ma part ! Que de fois, grâce à la faveur qu’ils m’accordaient, j’ai pu travailler seul, à mon gré, dans les galeries désertes, en dehors des heures réglementaires, et admirera loisir les œuvres qui m’attiraient : à l’Ermitage, à l’Académie des Beaux-Arts de Venise, à Cassel, pendant la réorganisation du Musée, alors que les toiles des maîtres, placées toutes à ma portée, se prêtaient complaisamment à un examen réitéré ; à Brunswick, où, enfermé dans l’ancienne galerie par le gardien qui m’y avait oublié, je devais, par une fenêtre, héler un passant pour invoquer son assistance