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Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 20.djvu/148

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[1] aux mariages de princesses. Il n’y voyait que des questions politiques à régler entre gouvernemens, et où le sentiment n’avait pas à intervenir. L’idée que nous avons tous droit au bonheur n’était pas de son temps, et, si quelque précurseur la lui avait suggérée, il l’aurait sûrement condamnée, car elle fait passer les intérêts de l’individu avant ceux de la communauté, qui paraissaient bien autrement sacrés aux gens du XVIIe siècle. Louis XIV ne s’était pas cru le droit, pour lui-même, de n’accepter que les agrémens de son « métier de roi, » puisqu’il s’était imposé une existence de travail acharné, lorsqu’il lui aurait été si doux de ne rien faire. Dans son esprit, plus l’individu était haut placé, plus il était tenu de sacrifier ses propres convenances au bien général. Mademoiselle avait l’honneur d’être sa cousine germaine ; il était parfaitement résolu à la marier ou ne la marier pas, à la donner indifféremment à un héros ou à un monstre, selon qu’il le jugerait utile pour « le service du Roi. » C’était sa façon de reconnaître la parenté ; elle ne manquait pas de grandeur.

Il n’entrait pas dans sa pensée que Mademoiselle aurait l’audace de lui résister. On peut dire que, sous ce rapport, ils étaient aussi incapables l’un que l’autre de se comprendre. Mademoiselle avait vécu trop longtemps dans l’opposition pour se faire à la notion d’un pouvoir royal absolument sans limites, dans toutes les circonstances imaginables et vis-à-vis de toutes les personnes possibles. Louis XIV avait une foi trop profonde au droit divin des rois pour se refuser une seule des prérogatives qui peuvent en découler. Ils représentaient l’un et l’autre l’opinion de nombreux Français ; mais Mademoiselle représentait le courant décroissant, Louis XIV le courant grossissant.

Ce dernier était venu au monde au bon moment pour profiter d’une doctrine qui, suivant une heureuse expression[2], semblait faite pour lui comme il semblait fait pour elle. A la suite de la Réforme, la vieille théorie de l’origine divine du pouvoir avait bénéficié de ce que les peuples, en maint pays ou en mainte province, s’étaient trouvés aussi intéressés que pouvaient l’être les souverains à supprimer l’autorité politique du pape, en dehors de ses Etats, et son ingérence dans les affaires des autres

  1. Œuvres de Louis XIV (Paris, 1806).
  2. Sur la Théorie du pouvoir royal chez les contemporains de Louis XIV, voir l’Éducation politique de Louis XIV, par M. Lacour-Gayet.