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pays. C’est ainsi qu’en France, on remarque des théologiens calvinistes parmi les écrivains qui soutinrent dès le XVIe siècle que les princes reçoivent directement leur pouvoir de Dieu, et de Dieu seul. La conséquence immédiate de la doctrine fut de rehausser encore l’éclat de la majesté royale. Les princes devinrent « l’image « de la divinité, et même quelque chose de plus ; le premier discours officiel qu’entendit Louis XIV, — il n’avait pas cinq ans, — le qualifia de « divinité visible. » Deux ans plus tard, le Catéchisme royal[1] lui expliquait qu’il était « vice-dieu. » Vingt ans plus tard, Louis XIV était « dieu » tout court, et c’était Bossuet qui le lui déclarait du haut de la chaire. Prêchant au Louvre, le 2 avril 1662, et ayant à parler des devoirs des rois, Bossuet s’écria : « O dieux de terre et de poussière, vous mourrez comme des hommes. N’importe, vous êtes des dieux, encore que vous mouriez… »

Quand un homme entend ces choses-là sans broncher, il est mûr pour en accepter toutes les conséquences : « Les rois, avait écrit un anonyme, sont les seigneurs absolus de tout ce qui respire l’air, dans toute l’étendue de leur empire[2]. » Louis XIV a formulé très nettement la même pensée dans ses Mémoires : « Celui qui a donné des rois aux hommes a voulu qu’on les respectât comme ses lieutenans, se réservant à lui seul le droit d’examiner leur conduite. Sa volonté est que quiconque est né sujet obéisse sans discernement[3]. » Il est juste d’ajouter qu’il était arrivé à ces conclusions sous une poussée du sentiment public, devenu impatient de donner à la monarchie la force dont elle avait besoin pour remettre le pays en ordre. A la mort de Mazarin, la France était semblable à une grande maison dont les armoires, confiées à une ménagère négligente, n’ont pas été rangées depuis toute une génération. Une immense espérance traversa la France quand le pays vit son jeune monarque, aidé vigoureusement par Colbert, mettre le balai dans l’amas d’abus et d’iniquités qui portait le nom d’administration, et se montrer résolu, en dépit des résistances et sans ménagemens pour les personnes, à introduire de l’ordre et de la propreté morale dans les grands services publics.

Cela ne se fît point sans des pleurs et des grincemens de dents,

  1. Par Fortin de la Hoguette (1645).
  2. L’Image du souverain (1649).
  3. Mémoires pour 1667. Ed. de M. Charles Dreyss.