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sans des injustices aussi, témoin Fouquet, coupable assurément mais payant pour tant d’autres, dont Mazarin le premier. Mais cela se fit. Les finances d’abord, avec ce résultat que le peuple paya moins et que les impôts rapportèrent davantage. La justice ensuite ; la réforme de la procédure fut commencée en 1665, et les grands jours d’Auvergne s’ouvrirent la même année. L’armée ; les soldats, régulièrement payés, commirent moins de désordres, et la noblesse apprit bon gré mal gré l’obéissance militaire. En même temps, l’industrie et le commerce marchaient d’un tel pas, que, dès 1668, les commandes affluaient à Paris « du monde entier, » pour une foule d’articles que nous étions forcés, dix ans plus tôt, de faire venir de l’étranger ; c’est l’ambassadeur de Venise, Giustiniani, qui l’écrit à son gouvernement.

La ferme volonté du maître avait remis le pays en marche. Louis XIV en fut confirmé dans sa haute opinion de la monarchie absolue. L’année même où Bossuet l’encourageait à se croire au-dessus de l’humanité ordinaire, il décida en toute sûreté de conscience de marier la Grande Mademoiselle à un véritable monstre, dans l’intérêt d’une combinaison politique qui lui tenait au cœur, car il y est revenu à plusieurs reprises dans ses Mémoires. Son beau-père, Philippe IV, menaçait l’indépendance du Portugal[1]. Louis XIV se « faisait scrupule d’assister ouvertement le Portugal à cause du traité des Pyrénées[2]. » D’autre part, il estimait duperie d’être plus honnête avec les Espagnols que les Espagnols ne l’étaient avec lui : « Je ne pouvais pas douter qu’ils n’eussent violé les premiers et en mille sortes le traité des Pyrénées, et j’aurais cru manquer à ce que je dois à mes États si, en l’observant plus scrupuleusement qu’eux, je leur laissais librement ruiner le Portugal, pour retomber ensuite sur moi avec toutes leurs forces. » Il lui sembla qu’il conciliait tout en aidant le Portugal sous main, et Turenne n’eut aucune répugnance à s’employer dans cette affaire : cela s’appelait alors, et cela s’appelle encore quelquefois, faire de la politique.

Telle étant la situation, Turenne vint une après-midi trouver Mademoiselle dans son cabinet. Le récit de leur entrevue nous a été conservé par la princesse, et nous pouvons, cette fois, nous en fier à elle ; ses Mémoires s’accordent avec les témoignages des contemporains.

  1. Le Portugal avait repris son indépendance en 1640.
  2. Mémoires pour l’année 1661.